La mafia calabraise a chassé les Africains de Rosarno
Publié le 22 janvier 2010 sur OSIBouaké.org
LaCroix, 17/01/2010
Après les heurts violents de Rosarno le 7 janvier, les migrants ont été évacués dans un camp de Bari d’où ils risquent d’être expulsés
« Les policiers nous ont menti ! Ils nous ont fait monter dans des autocars, en toute hâte, en nous assurant qu’ils nous protégeraient, qu’ils nous laisseraient partir où nous voulions, Rome, Naples, Milan… Nous nous sommes retrouvés emprisonnés ici, sans avoir aucune idée de notre sort. » Ici, c’est le centre d’identification et d’expulsion de Bari, dans les Pouilles. Le jeune homme qui dit avoir été dupé par les forces de l’ordre s’appelle Francis, il est ghanéen et travaillait comme ouvrier agricole en Calabre, à Rosarno, devenue la ville symbole de la « chasse aux Noirs ».
Plus de 1 000 immigrés venus principalement du Ghana mais aussi du Mali, de la Côte d’Ivoire, du Togo, du Burkina Faso, du Niger et de la Sierra Leone, ont dû s’enfuir pour sauver leur peau après les violents heurts qui ont éclaté le 7 janvier entre la population locale et les migrants dans cette commune, au cœur de la plaine de Gioia Tauro, où les travailleurs immigrés remplacent, à bien moindre coût, la main-d’œuvre italienne.
Depuis plus de dix ans, des centaines de migrants étaient là chaque hiver, entre les mois de décembre et de mars, période de la cueillette des mandarines, clémentines et oranges. Certains s’y étaient même établis avec leur famille. La majorité de ceux qui ont été évacués est en possession d’un permis de séjour. Selon les chiffres du ministère de l’intérieur, 60 % d’entre eux sont en situation régulière, 20 % sont demandeurs d’asile.
Parmi les sans-papiers, une cinquantaine sont dans le centre d’identification de Bari duquel ils ne risquent de sortir que pour être expulsés. « Il s’agit d’une situation très inquiétante contre laquelle nous devons nous mobiliser », a déclaré à La Croix la députée européenne d’Europe Écologie Hélène Flautre, qui s’est rendue ce week-end à Bari en compagnie d’autres membres de la commission des libertés civiles du Parlement européen.
« Ceux qui sont en situation irrégulière le sont parce que, comme tous les immigrés de Rosarno, ils étaient payés au noir. Tous ceux que j’ai rencontrés à Bari ne demandent qu’à respecter les lois. Âgés de 20 à 30 ans, ils ont accepté une véritable situation d’esclave : travailler 13 heures par jour pour être payé soit 1 € le cageot d’agrumes, soit 20 à 25 € la journée ; vivre entassés comme des bêtes dans des bâtiments insalubres. »
Francis, qui a débarqué à Lampedusa en 2008, et ses compagnons ont raconté les mêmes peurs, les mêmes colères. « Les émeutes ont été provoquées par l’agression d’un Togolais blessé par un coup de fusil à air comprimé tiré par un Calabrais et par une rumeur qui s’est propagée comme un feu de paille parmi la communauté africaine qui disait que deux de nos “frères” auraient été tués. Nous étions effrayés, nous nous sommes révoltés », affirme-t-il. « La police leur a dit qu’ils devaient quitter Rosarno parce qu’ils risquaient leur vie, précise Hélène Flautre. Ils ont été évacués sans pouvoir recevoir l’argent que leur patron leur devait, sans prendre toutes leurs affaires personnelles. Ils étaient désemparés, terrorisés et le sont encore. »
Selon le substitut du procureur à la Direction nationale anti-mafia, Alberto Cisterna, ces heurts ont été orchestrés du début à la fin par des clans de la ’Ndrangheta, la puissante mafia calabraise. « La ’Ndrangheta ne tolère pas que l’on proteste contre ses lois, contre son autorité suprême, elle ne supporte aucun désordre, si ce n’est celui qu’elle peut créer elle-même ! Quand on parle de contrôle du territoire par la criminalité organisée, c’est aussi de cela qu’il s’agit », explique-t-il à La Croix.
« Les prochains immigrés de Rosarno seront essentiellement des ressortissants des pays de l’Europe de l’Est, plus flexibles, moins visibles, plus respectueux de la loi du silence », assure le magistrat anti-mafia. Et les Africains ? Ceux qui sont partis par leurs propres moyens se sont dirigés soit vers le nord-est du pays soit vers d’autres régions du Sud, notamment en Campanie, à Castelvolturno, et Caserta où la présence d’ouvriers africains remonte aux années 1980. Mieux assistés par des associations de bénévolat qu’en Calabre, ils n’en sont pas moins en proie à une autre mafia, la Camorra, très présente dans les entreprises agricoles et du bâtiment.
Anne LE NIR, à Bari