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Disparités constatées quant à l’application de l’Accord sur les ADPIC dans les pays en développement

Article de Catherine Saez traduit par Emed


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Intellectual Property Watch - 8 January 2008 Posted by Catherine Saez @ 10:18 am

Lors d’un évènement récemment organisé par le Centre Sud, certains intervenants ont souligné l’existence de disparités importantes quant à l’application de l’Accord de l’Organisation mondiale du commerce sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Accord sur les ADPIC) dans les pays en développement. Des différences ont également été constatées concernant l’usage de la flexibilité que permet cet accord.

D’après les résultats d’un travail de recherche mené sur 107 pays et présenté par Carolyn Deere, directrice du Programme de gouvernance économique mondiale à l’Université d’Oxford, un grand nombre de pays en développement ont mis en application des normes relatives à la propriété intellectuelle encore plus exigeantes que celles requises par l’Accord sur les ADPIC, et ce en dépit des vives inquiétudes suscitées par ce dernier.

La réunion du 5 décembre dernier intitulée « The Implementation Game : Developing Countries ; the TRIPS Agreement and the Global Politics of Intellectual Property » (Le jeu de la mise en application : les pays en développement, l’Accord sur les ADPIC et les politiques mondiales en matière de propriété intellectuelle), s’est inscrite dans le cadre d’une série de séminaires organisés par le Centre Sud.

Mme Deere a classé les pays étudiés en trois catégories : les États qui ont mis en application des normes dépassant celles établies par l’Accord sur les ADPIC (pays « ADPIC-plus »), ceux qui ont utilisé la flexibilité permise par l’accord dans une certaine mesure et ceux qui sont en train de mettre en place les réformes nécessaires pour respecter les engagements de ce dernier.

Une analyse des réformes législatives liées à l’Accord sur les ADPIC a permis de déterminer que des pays comme le Cambodge, le Mali, le Mexique, le Pérou et la République dominicaine se situaient dans le groupe « ADPIC-plus  », lequel regroupe 14 pays parmi les moins avancés. L’étude menée par Mme Deere a démontré qu’il n’existe aucun lien évident entre le niveau d’exigence des normes de propriété intellectuelle et le produit intérieur brut par habitant. Certains pays parmi les plus pauvres du monde, comme le Niger, font partie des pays « ADPIC-plus », a-t-elle affirmé.

Selon Mme Deere, les différences relatives à l’application de l’Accord sur les ADPIC entre les pays en développement seraient dues à l’interaction des politiques intérieures et des pressions exercées au niveau international. En effet, les pays en développement sont influencés par le niveau de pression qu’exercent sur eux les donateurs internationaux, les investisseurs et les partenaires commerciaux, a-t-elle expliqué. Cependant, ces pressions ne suffisent pas à expliquer une telle disparité, a ajouté Mme Deere. Certains pays, comme le Brésil, qui ont subi des pressions de la part des États-Unis, ne font pas partie du groupe des pays « ADPIC-plus ». Ceux-ci ont préféré faire usage, dans une certaine mesure, de la flexibilité permise par l’accord, a-t-elle précisé.

Le jeu de la mise en application : une bataille d’influence.

Le débat sur la mise en application de l’Accord sur les ADPIC a opposé deux groupes. L’un se prononçait en faveur d’une mise en conformité rapide et d’un usage limité de la flexibilité de l’accord, et l’autre était partisan d’une approche plus flexible et adaptée aux priorités nationales de chaque pays en matière de développement. Selon Mme Deere, le premier groupe a employé des mesures coercitives telles que des accords et des menaces commerciales, le règlement des différends auprès de l’OMC et certaines exigences diplomatiques. En vue de promouvoir un climat favorable à la propriété intellectuelle, ce groupe a également utilisé le « pouvoir des idées » en s’appuyant sur les médias, la sensibilisation du public, la recherche, le contrôle et le renforcement des capacités. Le second groupe n’a pas eu les moyens d’exercer des pressions coercitives, a-t-elle expliqué. Néanmoins, ce dernier a su mettre à profit ses idées, en menant notamment des campagnes de lutte contre les pressions exercées par les pays « ADPIC-plus », dont les répercussions sur la santé et l’accès aux connaissances se sont fait ressentir. Pour rallier à leur cause les décideurs des pays en développement, les deux groupes se sont lancés dans une « guerre pour la recherche » et dans une véritable compétition en matière de renforcement des capacités, a-t-elle ajouté.

Selon Mme Deere, les politiques menées au niveau national ont un impact sur les disparités entre pays. En effet, certaines politiques amplifient l’influence des pressions extérieures alors que d’autres la filtrent. Dans la plupart des pays en développement, le débat sur l’application de l’Accord sur les ADPIC est limité en raison du manque de compétences et de concertation au sein du gouvernement, ainsi que du nombre réduit de groupes actifs d’intérêt local. De fait, la plupart des gouvernements s’en remettent aux décisions des offices nationaux de propriété intellectuelle, qui a leur tour subissent une forte influence de la part des grands donateurs, comme l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), a expliqué Mme Deere. Selon elle, il existe également un manque de coordination entre les représentants des gouvernements nationaux et ceux des gouvernements internationaux.

Les résultats de l’étude menée par Mme Deere devraient faire l’objet d’un ouvrage qui sera publié en 2008.

Difficultés de mise en application de la flexibilité permise par l’Accord sur les ADPIC

Boumédiene Mahi est membre de la mission permanente de l’Algérie auprès des Nations Unies et coordinateur du Groupe africain auprès de l’OMPI. Par rapport à la présentation de Mme Deere, ce dernier a précisé que la plupart des pays africains avaient hérité des systèmes coloniaux en matière de propriété intellectuelle et adhéré à l’Accord sur les ADPIC sans avoir participé aux négociations. En outre, a-t-il ajouté, « les pays en développement ont subi d’énormes pressions au cours des négociations de l’Accord sur les ADPIC, et continuent d’en subir ».

Certains pays qui n’avaient pas connaissance de la flexibilité permise par l’accord et de la manière d’utiliser cette flexibilité n’ont pas pu en tirer profit. Il est même arrivé que « des offices sous-régionaux, tels que l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle, prennent des décisions qui ont ensuite été appliquées dans certains pays, sans que ces derniers aient la possibilité d’en débattre au niveau national », a confié M. Mahi. Ce dernier a également souligné l’importance d’une assistance technique en matière d’utilisation de la flexibilité permise par l’accord. « L’OMPI n’a commencé à proposer une assistance technique qu’au cours des deux dernières années » pour ce qui est de l’usage de la flexibilité de l’Accord sur les ADPIC. Un certain nombre de pays parmi les moins avancés ne savent donc toujours pas comment s’en servir. M. Mahi a cependant indiqué que le nouveau programme de l’OMPI pour le développement mettait en avant l’idée d’une protection équilibrée, caractérisée à la fois par l’encouragement de l’innovation et la protection de l’intérêt public. Selon lui, cette démarche prometteuse est un premier pas vers une plus grande équité.

Pour Christoph Spennemann, expert juridique au sein de l’équipe chargée des questions de propriété intellectuelle à la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, il existe un lien évident entre le niveau de compétences et l’usage de la flexibilité dans les pays en développement. Les pays ayant participé aux négociations du Cycle d’Uruguay de l’OMC qui ont abouti à l’Accord sur les ADPIC font usage de la flexibilité de l’accord et ont conscience de ce que cela implique. En revanche, dans les pays en développement qui ont peu participé aux négociations, le niveau de protection juridique est plus élevé.

Les pays « ADPIC-plus » sont parfois davantage familiarisés avec les bénéfices potentiels de la propriété intellectuelle qu’avec les défis qu’elle implique, a expliqué M. Spennemann. Ce dernier a cité l’exemple de certains producteurs locaux dans des pays d’Afrique de l’Ouest, qui sont très attachés à l’utilisation de brevets pharmaceutiques mais n’ont pas conscience des répercussions de la propriété intellectuelle sur le domaine public. D’après M. Spennemann, ces producteurs imaginent qu’une forte protection de la propriété intellectuelle attire les investissements étrangers. Cependant, ils ignorent que la flexibilité juridique dans ce domaine représente un attrait potentiel pour les investisseurs de l’industrie du médicament générique. Par conséquent, les lois coloniales qui précédaient l’Accord sur les ADPIC restent inchangées, ou sont transformées en lois « ADPIC-plus ». De plus, pour une mise en application réussie de l’accord, ces pays doivent s’engager dans une véritable « course à l’assistance technique », a-t-il ajouté. M. Spennemann a conclu en soulignant que, pour que l’usage de la flexibilité juridique aboutisse à de meilleurs résultats, les objectifs de développement doivent également être pris en compte dans le renforcement des capacités en matière de propriété intellectuelle.


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Publié sur OSI Bouaké le mercredi 9 janvier 2008

 

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