Accueil >>  Adoption internationale et nationale

Fin de l’ORCAN : mauvais signal pour l’adoption nationale

Un camouflet pour les bonnes pratiques à l’heure où il faudrait développer les projets de vie pour les pupilles


Gynger - 11 octobre, 2016 - par Gaëlle Guernalec-Levy -

Depuis 2004, l’Organisation Régionale de Concertation pour l’Adoption en Normandie avait pour mission de trouver des familles aux enfants pupilles de l’Etat à besoins particuliers. Le dispositif s’arrêtera à la fin de l’année 2016 pour des raisons budgétaires. Le travail de dentelle que nécessite la recherche de candidats idoines pour ces enfants au parcours si particulier coûte cher. Mais bien moins que la prise en charge de ces enfants, des années durant, par les services de l’Etat.

L’adoption internationale a régulièrement droit aux gros titres, notamment lorsqu’il s’agit de relayer sa chute vertigineuse : 815 apparentements en 2015 contre 3162 en 2007. La communication autour de l’adoption nationale est plus discrète. Mais sa situation guère plus florissante. En 2015, sur 2435 mineurs bénéficiant de la protection du statut de pupille de l’Etat, 48% n’ont pas pu être adoptés faute de familles candidates. Parce que ces enfants étaient trop grands, porteurs d’un handicap   (trisomie 21, maladie génétique, foetopathie alcoolique), en fratrie, ou trop fragilisés par les traumatismes déjà subis. Ces enfants, qui pour certains d’entre eux ont pu manquer de soins constants et de protection, présentent souvent des difficultés d’attachements et sont en insécurité affective. Ils ont peur du rejet et de l’abandon et peuvent de ce fait le provoquer.

Trouver des familles adoptantes pour des enfants à besoins spécifiques : un travail de dentelle

Le profil particulier de ces jeunes n’est pas seul en cause. S’ils ne rencontrent pas de familles susceptibles de les adopter c’est aussi parce que les services en charge de ces adoptions éprouvent des difficultés pour identifier de potentiels candidats et ajuster au niveau national l’offre et la demande. L’ORCAN (Organisation Régionale de Concertation pour l’Adoption en Normandie) a été créée en 2004 dans le but de réaliser ce travail de dentelle consistant à analyser la capacité d’un enfant à faire l’objet d’une adoption et, le cas échéant, à trouver la bonne famille, suffisamment préparée et armée. Sa sœur jumelle, l’ORCA Est, couvre les mêmes missions dans l’est de la France. « Le rôle de ces deux structures est de préparer les enfants à besoins spécifiques pour l’adoption, précise Nathalie Parent, présidente de l’association Enfance et Famille d’adoption (EFA) Un bilan d’adoptabilité est effectué, l’ORCAN et l’ORCA recherchent le bon profil parental au sein de la région mais aussi ailleurs. On cherche une famille avec des caractéristiques très précises. C’est comme un entonnoir. Par exemple, un couple à la campagne, avec des animaux, n’ayant pas de trop fortes attentes sur le plan scolaire, à l’aise avec un léger retard mental. Si l’enfant est incapable de s’attacher à un homme, ou à une femme, la recherche s’oriente sur une personne célibataire ou un couple de même sexe. »

L’ORCAN cesse ses activités le 31 décembre 2016

Mais l’ORCAN va fermer ses portes au 31 décembre 2016. Trois départements (ainsi que l’Etat) assuraient son financement. Le désengagement des départements de l’Orne et de la Manche et l’impossibilité pour le Calvados de compenser cette perte sèche aboutit à l’arrêt du dispositif. L’Orne et la Manche assurent qu’il s’agit d’une décision prise d’un commun accord. L’argument avancé : « une sous activité notoire » pour un financement annuel de 100.000 euros annuels. Le département de l’Orne n’a ainsi enregistré qu’une adoption en 2014 et aucune en 2015.

C’est peu, en effet. Entre 2004 et 2016, ce sont 61 adoptions qui ont été réalisées au total, soit une moyenne de 6 adoptions par an tous départements confondus. « Quand on connaît le coût d’un pupille de l’Etat, ce n’est pas de l’argent dépensé en vain », assure de son côté Nathalie Parent. De fait, l’Etat dépense en moyenne 22.257 euros par an pour un placement en famille d’accueil et 60.804 euros pour un placement en foyer. Si on divise le 1,2 million dépensé pour 61 enfants en 12 ans, on obtient 19.672 euros par dossier. Ces 61 adoptions ont bien permis de réaliser des économies. Pour Nathalie Parent, l’arrêt de l’ORCAN signe le désintérêt manifeste des institutions pour l’adoption nationale, « en totale contradiction avec les discours officiels ». Le département du Calvados assure que pour sa part, il continuera d’assumer, mais pour lui seul, cette mission dédiée à l’adoption des enfants à besoins spécifiques.

Des candidats à l’adoption trop peu formés et informés

La fermeture de l’ORCAN remet sur le devant de la scène des problématiques qui n’ont jamais cessé de susciter de profonds questionnements voire de vives controverses : l’accompagnement et la formation des candidats à l’adoption, la gestion centralisée des candidatures et au-delà, l’adoptabilité des pupilles de l’Etat, la question des enfants délaissés, voire « oubliés », et de la primauté du lien biologique. Oui, évidemment, les couples souhaitent plutôt adopter un très jeune bébé en bonne santé et les familles prêtes à accueillir un enfant porteur d’une trisomie 21 ou ayant été gravement négligé par sa mère ne sont pas légion. Mais certaines familles qui pourraient se sentir prêtes à tenter cette aventure ne savent même pas qu’il existe bien des enfants, certes avec des besoins particuliers, mais tout à fait adoptables, en France. « L’agrément puis l’accompagnement et la préparation des candidats sont insuffisants et pas en adéquation avec la réalité de l’adoption aujourd’hui, assure Marie-Laure Bouet-Simon, responsable technique à l’ORCAN. La notion d’enfants à besoins spéciaux est trop rarement évoquée au moment de la procédure d’agrément, notamment du fait d’un manque de formation des instructeurs. Travailler en adoption est une activité particulière qui demande des connaissances spécifiques et une technicité adaptée. »

Pas de fichier centralisé des candidatures

Marie-Laure Bouet-Simon plaide aussi pour « la création d’une cellule centralisée » dont une des missions pourrait être axée sur les candidatures, à travers la France. « Trop de personnes, trop de services, rencontrent les même postulants. Que de temps perdu ! Cette cellule pourrait aussi recenser les besoins de formation et d’informations et proposer des contenus adaptés. Elle pourrait également répondre à des demandes de département qui expriment clairement aujourd’hui ne pas être en mesure de conduire ce type de projets . Une « technicienne » de cette cellule pourrait intervenir sur le terrain en duo avec des professionnels départementaux. Ainsi progressivement de nouvelles pratiques pourraient peut-être voir le jour. » C’est ce travail qui a été mené au sein de l’ORCAN pendant 12 ans. « Tout dispositif est sujet à critique et à amélioration, concède Marie-Laure Bouet-Simon. Il me semble cependant que ce qui fait la force de la structure vient du fait qu’une seule personne prend la situation dans sa globalité et pilote l’ensemble du dispositif. Connaissant à la fois l’enfant à travers le temps du bilan d’adoptabilité, connaissant les candidats ( travail sur dossier, questionnaires spécifiques Orcan, premier rendez-vous systématisé), la réflexion sur l’apparentement est de fait facilitée et peut être moins subjective. Généralement c’est un travail très chronophage. En ce sens une certaine spécialisation de ce poste est indispensable. » L’ORCAN a par ailleurs créé un réseau et a développé un partenariat avec différentes associations, partenariat favorisant la recherche des adoptants. Le partenariat a également permis de nombreux échanges sur les procédures et sur les pratiques.

Des placements temporaires qui deviennent permanents

C’est cette réflexion sur les pratiques qui a amené plusieurs professionnels de l’adoption, dont Marie-Laure Bouet-Simon, à publier en septembre 2013 un « plaidoyer pour l’adoption nationale » appelant à revoir intégralement la philosophie qui sous-tend en France la prise en charge d’un enfant dans un service de l’Aide Sociale à l’Enfance. Ce plaidoyer venait remettre en cause, une nouvelle fois, le principe, si ce n’est le dogme, de la primauté du lien biologique, qui conduit à ne pas prendre en compte le délaissement et à priver de nombreux enfants de la possibilité d’être adoptés. La question est centrale et extrêmement complexe. Un placement d’enfants est censé être temporaire. Les travailleurs sociaux ont donc pour mission d’assurer le maintien des liens entre l’enfant et sa famille. Mais les professionnels constatent que de nombreux enfants ne retournent jamais auprès de leurs parents et grandissent en famille d’accueil ou dans des foyers. Ne serait-il pas plus judicieux, plus conforme à l’intérêt de ces enfants, de bénéficier plus tôt du statut de pupilles, voire d’une adoption ?

Revoir en amont la philosophie qui fonde la protection de l’enfance

Pour Marie-Laure Bouet-Simon, tout est lié. « Le nombre d’ adoptions nationales est conditionné par le travail en aval, par l’accompagnement des enfants confiés à l’ASE  , par le projet de vie élaboré pour chaque enfant. C’est toute la question de la réactivité des services de placement à l’observation des liens parents/enfant et à la vigilance des situations de délaissement. Comment se fait l’observation, quel en est le rendu au niveau des magistrats, comment soutient on la parentalité ? Jusqu’où accompagner et soutenir le lien ? A quel moment s’interroger sur la pertinence d’un changement de statut ouvrant sur un accès possible à un autre projet de vie, qui peut être l’adoption ? C’est aussi la question des outils et des référentiels ( très insuffisants ou inadaptés en France) à disposition des professionnels pour évaluer le développement de l’enfant, évaluer les compétences parentales, pour étayer et soutenir ces compétences, pour évaluer les situations de délaissement……On voit ici comment tout est lié. » La Loi de mars 2016 portée par Muguette Dini et Michelle Meunier a notamment pour objectif de repenser la situation de ces enfants délaisses et oubliés. Cette loi instaure une commission pluridisciplinaire chargée d’examiner dans chaque département et de façon annuelle la situation des enfants placés depuis plus d’un an. Pour les enfants de moins de deux ans la situation doit être analysée tous les six mois. « Dans le Calvados, nous n’avons pas attendu que la loi demande une systématisation de ces réunions, explique Marie-Laure Bouet-Simon. Les Comités de réflexion sur les statuts existent depuis 2006. On voit ici l’importance des personnes ayant en charge la question des enfants confiés et de l’adoption dans les départements, l’importance de leur implication, de leur positionnement, quelque fois marqué par l’idéologie du lien. Cette idéologie empêche qu’une réflexion réellement axée sur l’enfant advienne. Un frein puissant existait et existe encore dans notre pays priorisant le parent. Les besoins de l’enfant, son intérêt devraient être prioritaires dans toutes les décisions. Espérons que la nouvelle loi soit intégrée et mise en œuvre. »

Photos :

  • Vignette : Fontainebleau, 2016, (c) Sandrine Dekens
  • En bas d’article : Courseulles-sur-mer, 2016, (c) Annie Roussé


VOIR EN LIGNE : Gynger
Publié sur OSI Bouaké le vendredi 21 octobre 2016

 

DANS LA MEME RUBRIQUE