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Côte d’Ivoire : Apprendre aux enfants à vivre avec le sida


ABIDJAN, 10 octobre 2005 (PLUSNEWS) - Quand il sera grand, Malick sera joueur de football professionnel, comme son idole Ronaldo. En attendant, l’adolescent n’oublie aucun des médicaments qui prolongent son espérance de vie d’enfant vivant avec le sida  .

« Je suis un attaquant très rapide », affirme ce jeune Ivoirien de 15 ans, à l’entraînement dans l’équipe des cadets de l’un des clubs de la capitale économique Abidjan. « Un jour, je jouerai dans un grand club », rêve Malick (un prénom d’emprunt).

L’allure sportive, souriant, Malick est l’un des 480 enfants suivis depuis 2001 par l’association ivoirienne Chigata, qui signifie « Tant qu’il y a de la vie » en sénoufo, une langue parlée dans le nord sahélien du pays.

Chigata est un centre de prise en charge et de transit, où les enfants infectés par le virus ou affectés par les conséquences de la pandémie sur les structures familiales viennent trouver écoute, soins et soutien nutritionnel et psychologique.

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Tous les enfants doivent aller à l’école, même les plus fragiles, affirme Chigata

La plupart d’entre eux vit dans des foyers d’adoption, souvent auprès de membres de la famille élargie. Seule une dizaine d’enfants vit au centre, une petite maison de cinq pièces dotée d’une cour sablonneuse où les enfants peuvent jouer.

Au fil du temps et des besoins, le local est devenu exigu et une autre salle a été improvisée pour abriter de nouveaux lits.

« Si les gens ne veulent pas garder l’enfant parce qu’il a le VIH  , nous sommes obligés de le recueillir », explique sa présidente, la dynamique Rose Dossou, ajoutant qu’elle ne cesse jamais de négocier avec les parents jusqu’à ce que celle-ci accepte l’enfant.

« Les enfants retournent toujours dans leur famille adoptive », explique-t-elle.

Elles sont une poignée d’organisations et d’associations locales à tenter de prendre en charge les 300 000 orphelins et enfants vulnérables qu’abrite officiellement le pays, frappé de plein fouet par l’épidémie de VIH  /SIDA   qui affecterait sept pour cent de la population adulte, selon les Nations unies.

Selon les autorités, un plan d’action serait en cours d’élaboration. Mais en attendant, aucun cadre légal n’existe en Côte d’Ivoire qui permettrait d’agir en faveur de ces enfants, le plus souvent livrés à eux-mêmes en raison de leur séropositivité et de la stigmatisation attachée au virus qui a tué leurs parents ou leurs proches.

Malick a perdu son père et sa mère il y a huit ans et vit depuis chez ses grands-parents maternels, qui le soutiennent au quotidien : prise de médicaments, scolarisation, activités extra-scolaires... tout est sujet à plus de souffrance pour les enfants vivant avec le VIH  .

Pour évacuer les difficultés quotidiennes et permettre aux enfants de parler de leurs problèmes, Chigata organise, depuis 2002, trois groupes de parole par mois : pour les parents, les adolescents et les plus petits, âgés de sept à 12 ans.

« Nous parlons des problèmes que nous rencontrons en classe, ou de l’infection à VIH   », explique Malick, qui a appris sa séropositivité à l’occasion d’une de ces rencontres.

Selon Rose Dossou, les enfants qui connaissent leur statut sérologique peuvent apprendre à mieux vivre avec le virus... et bénéficier des différents appuis offerts par l’organisation non-gouvernementale - nourriture, fournitures scolaires, frais de scolarité, cartes de transport...

« [Conditionner les dons] a amené les parents à prendre leurs responsabilités et à annoncer aux enfants leur statut », a-t-elle expliqué, ajoutant que l’ONG, dotée d’un budget de 183 000 dollars par an, était appuyée par le gouvernement américain, le programme commun des Nations unies sur le sida   (Onusida  ) et des privés ivoiriens.

Au sein des groupes de parole, les enfants reçoivent des conseils sur la manière de respecter la prise de médicaments ou sur la façon de bien répondre aux questions de leurs camarades, souvent curieux des raisons qui poussent, par exemple, l’un d’entre eux à sortir régulièrement de la classe de cours, selon Mme Dossou.

Quant aux plus petits des enfants sous sa responsabilité, « nous leur enseignons les règles d’hygiène pour les préparer à vivre avec le VIH  /SIDA   », a-t-elle ajouté.

Des règles à apprendre

L’une des règles fondamentales que Rose Dossou et ses collègues apprennent aux 180 enfants sous traitement antirétroviral (ARV  ) est de prendre leurs médicaments à heure fixe, quelquefois plusieurs fois par jour, une prescription qu’ils ont du mal à suivre.

« Les enfants peuvent prendre jusqu’à neuf pilules par jour, c’est beaucoup pour eux », explique Clémentine, l’une des 10 assistantes communautaires de Chigata qui accompagnent les enfants. « Quand ils sont fatigués, ils prétendent oublier », ajoute-t-elle.

Malick avoue ne pas avoir été toujours très sérieux. Mais c’était avant de comprendre pourquoi il devait toujours prendre son traitement — et ne jamais l’oublier. « Nous avons appris dans notre groupe de parole qu’il faut toujours prendre ses médicaments, sinon nous allons tomber malade », explique-t-il.

Clémentine, l’assistance sociale, affirme ainsi que les parents adoptifs sont plus négligents vis-à-vis des enfants infectés ou simplement orphelins : ils ne mangent pas avec tout le monde et leurs médicaments ne sont pas toujours donnés quand il le faut, quand les membres de la famille les achètent.

C’est le cas de Malik, mais aussi de ces deux enfants que vient de recueillir Chigata : ils habitaient à Man, une grande ville de l’ouest du pays sous contrôle de la rébellion armée depuis près de trois ans : leur oncle adoptif ne leur donnait plus leur traitement depuis des mois.

Du coup, de nombreux enfants viennent à Chigata pour prendre leurs médicaments et suivre les groupes de parole, une thérapie nécessaire pour évacuer les difficultés soulevées par le milieu scolaire.

Abrutis par les médicaments, qui nuisent à leur vigilance et leur donnent quelquefois des nausées, les enfants sous traitement, plus petits que les autres, doivent subir les sarcasmes des autres élèves mais aussi se rendre aux consultations médicales, autant de contraintes qui gênent leur parcours scolaire.

« Depuis 2002, nous organisons des cours de français pour aider les enfants à rattraper le retard qu’ils prennent sur leurs camarades », explique Rose Dossou.

De nombreux enfants ratent les cours parce qu’ils ont des rendez vous à l’hôpital, précise-t-elle, ou parce qu’ils craignent de retourner en classe.

« Une maîtresse a une fois refusé qu’une de nos petites filles, myope, vienne s’asseoir au premier rang pour qu’elle puisse bien voir le tableau », raconte la présidente de Chigata. « Une autre fois, un enfant est venu me demander pourquoi sa maîtresse avait dit aux autres enfants de ne pas jouer avec lui ».

« Ces personnes vivent dans l’ignorance, elles croient que ces enfants sont contagieux », dit-elle, expliquant que des enseignants sont invités à la fête de fin d’année de Chigata « pour parler de ce que les enfants vivent à l’école ».

L’entraîneur de Malick, le seul de l’équipe à être informé de sa séropositivité, est beaucoup plus compréhensif. « Il ne me laisse jamais jouer plus de 45 minutes... le temps d’une mi-temps d’un match de football. »


Publié sur OSI Bouaké le mardi 11 octobre 2005

 

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