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Le sida contamine les services de santé


Mots-Clés / SIDA

Libération le 19 05 2009 par ESTHER DUFLO économiste au Massachussets Institute of Technology (MIT)

D’après l’Onusida  , plus de 20 millions d’adultes sont touchés par le virus du sida   en Afrique. Une étude récente de Christina Paxson et Anne Case, deux économistes de Princeton, révèle les ravages du sida   sur les systèmes de santé des pays africains. Elles utilisent des études détaillées auprès de mères de familles dans quatorze pays, dont huit où les taux d’infection sont relativement faibles (Burkina Faso, Cameroun, Côte-d’Ivoire, Ghana, Guinée, Mali, Niger et Sénégal) et six où ils sont élevés (Ethiopie, Kenya, Malawi, Tanzanie, Zambie et Zimbabwe).

L’enquête pose des questions sur les circonstances de la naissance de chaque enfant : la mère a-t-elle reçu des soins prénataux ? Où la naissance a-t-elle eu lieu ? L’enfant a-t-il été vacciné ? Ces gestes élémentaires protègent des vies et sont loin d’être universellement répandus : chaque année, 26 millions d’enfants ne reçoivent pas les vaccinations essentielles, et 9 millions d’enfants de moins de cinq ans meurent, dont au moins la moitié de maladies qui auraient pu justement être prévenues par la vaccination.

Or, dans les pays où la prévalence du sida   est importante, la qualité des soins prénataux et le nombre de vaccinations reçues se sont fortement dégradés dans les années 1990 et 2000. Au Malawi, par exemple, la proportion des femmes qui ont eu une prise de sang pendant leur grossesse est passée de 54 % en 1995 à 20 % 2005. En Tanzanie, 75 % des femmes déclaraient qu’on leur avait pris la tension au moins une fois pendant leur grossesse en 2000 contre 64 % en 2004. En Zambie, 51 % des naissances avaient lieu en présence d’une infirmière ou un médecin en 1988 et seulement 37 % en 2002. Cette évolution n’est pas due à une détérioration générale de la qualité des soins en Afrique : dans les pays où le sida   est peu répandu, on constate au contraire une amélioration de ces indicateurs au cours de la même période. Pour analyser l’effet du sida  , les auteurs font l’hypothèse qu’en son absence, les pays les plus touchés auraient connu une évolution similaire à celle des pays les plus épargnés. Les conclusions sont très inquiétantes : dans un pays où le taux de sida   a augmenté de 10 %, une mère a 17 % moins de chance d’avoir reçu des soins prénataux, un enfant a 14 % moins de chance d’être né en présence d’un professionnel de santé et 20 % moins de chance d’avoir été vacciné contre la polio, la rougeole et la tuberculose.

Pourquoi le sida   touche-t-il si fortement les autres soins de santé ? Les auteures passent en revue plusieurs explications possibles : elles montrent que l’accès aux soins (leur distance et leur prix) n’a pas empiré et que la détérioration n’est pas le fait des malades eux-mêmes ou de leurs familles (une mère séropositive a au contraire plus de chance d’avoir reçu une prise de sang pendant sa grossesse). Elle ne s’explique pas non plus seulement par la pauvreté : les résultats sont aussi forts quand ils tiennent en compte de la richesse des ménages.

C’est la qualité des soins dispensés par les services de santé publique qui s’est dégradée dans les pays les plus touchés par le sida   : des soins qui étaient prodigués auparavant ne le sont plus aujourd’hui. Il y a moins de personnel, les visites sont plus courtes. Le sida   met sous pression des services de santé qui étaient déjà fragiles avant l’épidémie et où les ressources humaines et matérielles n’ont pas augmenté en proportion des nouveaux besoins. Cela met en danger des soins simples, mais vitaux.

30 % des malades du sida   dans les pays pauvres sont couverts par une thérapie antirétrovirale. L’Organisation mondiale de la santé (OMS  ) estime qu’un triplement du budget consacré au sida   dans les pays pauvres (aujourd’hui 10 milliards dollars par an) serait nécessaire pour permettre une couverture universelle. L’introduction des antirétroviraux est trop récente dans la plupart des pays africains pour savoir s’ils libèrent des ressources pour les soins de base (en conservant les personnes séropositives en bonne santé) ou s’ils rendent la situation encore plus délicate (en mobilisant du personnel et des fonds qui ne sont pas remplacés).

En touchant les systèmes de santé, le sida   fait de nombreuses victimes qui ne sont pas infectées par le VIH  . Il est indispensable de le garder à l’esprit dans l’élaboration des programmes de lutte contre la maladie.


Publié sur OSI Bouaké le jeudi 28 mai 2009

 

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