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« Je lui renvoie l’ascenseur »

Agnès, présidente d’Amépouh, témoigne : elle a retrouvé l’espoir grâce au soutien de son mari et de l’association Amépouh, à Abidjan


ABIDJAN, 20 février 2006 (PLUSNEWS) - Quand Agnès Kouassi a appris qu’elle était séropositive, son mari lui a immédiatement apporté son soutien. Tout naturellement, dit-elle, lorsque quelques années plus tard il a appris qu’il était infecté au VIH  , elle l’a aidé et continue à le faire, bien que le couple soit aujourd’hui séparé.

C’est en 1998 qu’Agnès apprend qu’elle est infectée au VIH  . Elle s’est mariée deux ans auparavant et depuis quelques mois, elle souffre de la tuberculose, la première infection dite opportuniste liée au sida  , qui s’attaque à des organismes affaiblis par le virus.

A l’hôpital du quartier de Yopougon à Abidjan où elle est prise en charge pour sa tuberculose, les médecins lui conseillent alors de faire le test de dépistage du VIH  .

Trois mois plus tard -le délai nécessaire pour obtenir les résultats du test à l’époque- la nouvelle tombe : comme le soupçonnait son médecin, Agnès est infectée au VIH  . Effondrée, elle pleure tout le long du chemin qui la ramène du centre de la capitale économique ivoirienne à Adjamé, en banlieue, où son mari et elle se sont installés.

A l’hôpital, le médecin lui a conseillé d’informer son conjoint, mais Agnès ne peut se résoudre à le faire. « J’avais peur de sa réaction. Je ne savais pas comment il le prendrait », a t-elle dit. Et tous les matins, lorsqu’il part travailler, elle pleure.

Sans oser lui révéler son statut sérologique, elle encourage pourtant son mari, avec l’aide du médecin, à aller à son tour se faire dépister au VIH  . « Plus tard quand il a reçu ses résultats, il m’a dit qu’il venait de comprendre pourquoi je pleurais chaque matin », raconte cette jeune femme aujourd’hui âgée de 33 ans.

Car trois mois plus tard, le médecin, en annonçant au mari d’Agnès qu’il est séronégatif, lui révèle que son épouse est infectée au VIH  . Lorsqu’il rentre avec ses résultats, son époux se montre d’abord enthousiaste, « mais un petit moment plus tard, il s’est calmé d’un coup », raconte Agnès. « Le soir, il m’a dit que le médecin lui avait dit pour moi, et qu’il me soutiendrait ».

L’espoir renaît

Sur les conseils d’une infirmière et pour éviter qu’Agnès ne se sente seule, son mari finit par la convaincre d’aller voir les membres d’Amépouh, « Nous vaincrons » en langue guéré, l’une des plus anciennes associations ivoiriennes de femmes vivant avec le VIH  . Il s’y rend avec elle car elle ne peut se décider à y aller.

« Une fois sur place, il a dit à la présidente d’alors : ‘ma femme vient de connaître son statut, donc je te la confie’ », se souvient Agnès.

Agnès Kouassi est devenue membre d’Amépouh en 1999, parce qu’elle avait besoin de partager son secret avec des femmes qui savaient ce qu’elle vivait, explique-t-elle. « On a besoin de quelqu’un qui nous comprend et qui peut nous soutenir ».

Un nouvel espoir naît alors en elle, car les femmes séropositives qu’elle rencontre via l’association semblent toutes bien portantes. « La présidente d’alors, une belle femme, était très bien habillée, elle était très en chair et très joyeuse », dit Agnès. « J’avais constaté aussi que la vice présidente était enceinte ».

Un point essentiel pour Agnès. En 1995, peu avant de rencontrer son mari et alors qu’elle ne connaissait pas encore son statut, elle a perdu son unique enfant.

« Mon enfant a fait la maladie et est décédé quelques mois après sa naissance », dit-elle, avouant que sa douleur est toujours aussi vive. « C’est affreux de perdre un enfant dans ces conditions-là ».

Très vite, l’association lui rend sa joie de vivre et Agnès décide de se battre. En 2000, munie d’un diplôme en secrétariat, elle commence à chercher un emploi. Elle va travailler successivement dans une caisse d’épargne et de crédit, dans un magasin de vente de vêtements et d’articles divers, puis dans une entreprise de communication, « sans que les gens sachent que j’étais séropositive », précise-t-elle.

Cette renaissance, elle attribue à Amépouh autant qu’au soutien indéfectible de son mari. « Il ne m’a jamais rejetée, il a toujours été à mes cotés », dit-elle.

Après avoir été soutenue, elle soutient à son tour

C’est donc tout naturellement, dit-elle, que lorsqu’en juillet 2004, son mari commence à tomber souvent malade, Agnès le soutient et tente de vaincre ses réticences d’aller à nouveau se faire dépister au VIH  .

En avril 2005, il finit par accepter. « C’est moi qui ai demandé qu’on vienne le dépister à la maison », raconte-t-elle. « Je suis allé prendre les résultats, et c’est l’infirmière qui me suivait qui lui a annoncé qu’il était séropositif ».

Lorsque son premier test s’était avéré négatif en 1998, il avait préféré se contenter de ces résultats, se souvient Agnès. « Il n’avait pas fait de test de confirmation trois mois après, pour être sûr qu’il était négatif ».

Pendant les mois où Agnès se savait séropositive mais ne l’avait pas dit à son mari, elle a précisé n’avoir pas eu de relations sexuelles avec lui. « J’étais affaiblie par la tuberculose, et à cause de la maladie, on faisait chambre à part », explique-t-elle, allusion au fait que la tuberculose est très contagieuse à un stade de la maladie, obligeant les patients à prendre des précautions pour ne pas infecter leur entourage.

Plus tard, lorsque le médecin a révélé la séropositivité d’Agnès, son époux et elle ont compris qu’ils devaient utiliser des préservatifs, pour qu’il ne soit pas lui aussi infecté au VIH  .

Le mari d’Agnès est aujourd’hui sous traitement antirétroviral (ARV  ), ces médicament qui permettent de prolonger et d’améliorer la vie des personnes infectées au VIH  . « Il est sous traitement et Dieu merci, il a repris le travail », dit-elle.

A chaque fois qu’il doit se rendre à un rendez-vous à l’hôpital, c’est Agnès qui l’accompagne. Et le fait que le couple ait décidé il y a quelques mois de se séparer après neuf ans de mariage, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le sida  , précise-t-elle, n’a rien changé.

Car même lorsque son premier test s’était avéré négatif, rappelle-t-elle, il lui a toujours témoigné son soutien. « Je lui renvoie l’ascenseur », dit simplement Agnès.

Agnès a aussi tenté de prévenir son ancien compagnon, parti s’installer à l’étranger, lui annonçant sa séropositivité et lui proposant, s’il venait à Abidjan, de l’accompagner pour aller faire son test de dépistage du VIH   et éventuellement de l’aider pour être pris en charge.

Mais, elle n’a pas eu la réaction escomptée. « Quand il m’a appelé quelques jours plus tard au téléphone, il a dit qu’il m’appelait pour autre chose que le sujet de ma lettre », raconte-t-elle.

Encore des défis à relever

Depuis janvier 2005, Agnès est devenue la présidente d’Amépouh, qui pour fêter ses huit ans d’existence vient d’emménager dans de nouveaux locaux, deux bâtiments construits sur un terrain donné par le maire de la commune de Yopougon. Grâce à l’aide de bailleurs de fonds tels que l’organisation française Solidarité sida  , l’association accueille des femmes séropositives, avec enfants, rejetées par leur entourage.

Contrairement à ce qu’elle a pensé pendant longtemps, Agnès sait aujourd’hui qu’elle peut espérer avoir un enfant, grâce au programme de prévention de la transmission du virus de la mère à l’enfant (PTME  ).

En 2004, huit membres d’Amépouh ont bénéficié de ce programme avec succès. Mais Agnès n’est pas encore prête. « J’ai divorcé, je dois trouver quelqu’un qui comprendrait ma situation avant de m’engager », explique-t-elle.

Sur le plan professionnel aussi, Agnès a des projets. « Je veux apprendre l’anglais, pour mettre mon expérience acquise en association au service d’autres institutions », dit-elle, précisant qu’elle cherche actuellement des moyens de se faire financer sa formation.

Mais surtout, avant tout cela, il y a un autre défi qu’Agnès veut relever. Bien qu’elle soit engagée dans la lutte contre le sida   depuis plusieurs années, les membres de son entourage ne savent pas encore tous qu’elle est séropositive.

« Je fais des témoignages à la radio ou dans les entreprises, mais cela ne permet pas à tout le monde de savoir que je vis avec le virus », affirme-t-elle.

Prenant son courage à deux mains, elle a entrepris, fin 2004, d’écrire une lettre à l’un de ses oncles installé au Bénin. Cet oncle, lui-même acteur de la lutte contre le sida  , a été la première personne de sa famille à qui elle a osé révélé sa situation. « Je devais être sûre de trouver quelqu’un dans la famille qui me comprendrait », justifie-t-elle.

Et il y a quelques mois, peu après leur séparation, son ex-mari a appelé le frère d’Agnès au téléphone pour lui révéler qu’elle était séropositive depuis sept ans.

« Comme mon frère se trouvait chez mon père, il lui a dit. Mon père m’a invitée au restaurant pour qu’on en parle », raconte-t-elle, avouant son soulagement de voir sa famille accepter la nouvelle.

L’attitude de son père a convaincu Agnès de trouver le courage d’en parler à sa mère. « Aujourd’hui, j’ai décidé d’en parler à ma maman. C’est le gros morceau qui me reste », conclut-elle en riant.


Publié sur OSI Bouaké le vendredi 7 avril 2006

 

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