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Des mineurs jugés en mode majeur

Projet de loi et réactions de Marie-Rose Moro et Dominique Attias, deux femmes dont OSI Bouaké salue le travail et la pensée


Libération - 15/06/2011 - Par Sonya Faure

Le texte présenté aujourd’hui en commission des lois à l’Assemblée inquiète les professionnels.

On parle beaucoup de l’arrivée des jurés populaires dans les tribunaux correctionnels, moins de la réforme de la justice des mineurs qui sera discutée au même moment, dès mardi à l’Assemblée nationale, via la procédure d’urgence.

Le texte, passé au Sénat en mai et qui est présenté aujourd’hui en commission des lois à l’Assemblée, prévoit la création d’un tribunal correctionnel pour mineurs. Les récidivistes de plus de 16 ans, qui risquent une peine d’emprisonnement égale ou supérieure à trois ans, ne passeront plus devant un tribunal pour enfants, mais une juridiction de trois juges : deux magistrats non spécialisés et un juge des enfants. Ils bénéficieront toujours de l’excuse de minorité ou de la primauté de l’éducatif sur le répressif, comme le prévoit l’ordonnance de 1945 (et les textes internationaux sur les droits de l’enfant). Mais « la solennité sera plus grande », arguait Michel Mercier, le ministre de la Justice, la semaine dernière, devant les députés de la commission des lois. Un peu plus de 600 mineurs seront concernés, selon l’étude d’impact réalisée par la chancellerie, qui assure ne pas espérer de jugements plus sévères de la part de deux juges non spécialisés. Mais alors, « quelle urgence y a-t-il à désorganiser profondément la justice des mineurs pour juger ces 636 mineurs ? », note le socialiste Dominique Raimbourg.

Profondeur. Selon Michel Mercier, le but de cette loi est avant tout « d’améliorer la célérité de la justice des mineurs » : « Il se passe dix-huit mois entre la commission des faits et la décision de justice. C’est trop long pour avoir un effet pédagogique. » Ce que réfutent les juges des enfants, pour qui le temps jusqu’au jugement, justement, permet de travailler en profondeur avec l’enfant (lire page ci-contre le témoignage de Marie-Pierre Hourcade). Le gouvernement prévoit de permettre au parquet de faire passer un mineur directement devant le tribunal pour enfants - sans passer par le cabinet du juge. Il instaure un « dossier unique de personnalité », qui réunira tous les éléments ayant trait au mineur : ses précédentes infractions comme les éléments plus personnels recueillis au titre de l’assistance éducative (sur sa famille, les maltraitances subies…), et pourra être consulté par le parquet, le juge et les avocats. « Il s’agit de permettre aux acteurs d’avoir le même niveau d’information », explique la chancellerie. Les acteurs de la justice des mineurs s’inquiètent (lire ci-contre le témoignage de Dominique Attias). Enfin le texte prévoit de faciliter le placement sous surveillance électronique pour assignation à résidence des mineurs dès 13 ans et le placement en centre éducatif fermé : « Ils ont montré leur efficacité, selon le ministre de la Justice. Les deux tiers des mineurs qui en sortent ne récidivent pas dans l’année. »

Urgence. En février, dans l’émission Paroles de Français sur TF1, Nicolas Sarkozy avait été interpellé par une pharmacienne niçoise, cambriolée quatre fois. Le Président avait expliqué que sur la délinquance des mineurs, la majorité n’avait « pas réussi » et promis « d’apporter avant l’été une réponse ». La réforme a été préparée dans l’urgence, sans même consulter l’Association française des magistrats de la jeunesse (AFMJF), qui réunit les juges des enfants.

Pourtant, en 2010, la chancellerie - époque Michèle Alliot-Marie - avait mis en place un large comité de réflexion… pour l’élaboration d’un nouveau code pénal des mineurs. Il s’agissait alors d’en finir avec l’empilement successif des mesures. L’avocate Dominique Attias en faisait partie : « De septembre à décembre, une réunion par semaine… Mais en mars, on nous a réunis pour nous dire qu’il n’y aurait finalement pas de code des mineurs… Qu’il faudrait attendre après les élections de 2012. Quelques semaines plus tard est apparu ce projet gouvernemental : tout notre travail a été mis au panier parce que dieu le père Sarkozy avait parlé. »


Encadré : Justice des mineurs. Repères

L’ordonnance de 1945 Signée le 2 février 1945, elle est le fondement de la justice des mineurs en France. Elle pose la priorité de l’éducatif sur le répressif, la spécialisation des professionnels autour du jeune (comme le juge des enfants), le suivi personnalisé du jeune, notamment grâce au travail des éducateurs de la PJJ, ainsi que le recours exceptionnel à la détention.

35 C’est la 35e réforme de l’ordonnance sur la justice des mineurs du 2 février 1945. Elle a été réformée 34 fois en soixante-trois ans, dont 12 fois les dix dernières années.

« Un mineur d’aujourd’hui n’a rien à voir avec ceux des années 50. […] Imaginez : 17 ans, 1,85 mètre et on le met devant un tribunal pour enfants ? » Nicolas Sarkozy le 23 février, sur TF1

« Le projet reprend, avec un toilettage superficiel, certaines des dispositions censurées [lors du vote de la loi la Loppsi 2] par le Conseil constitutionnel. » L’Association française des magistrats de la jeunesse

Demain, le Conseil national des barreaux organise une conférence de presse sur la réforme, réunissant le juge des enfants Jean-Pierre Rosenzweig, la pédopsychiatre Catherine Dolto, etc. L’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille avait déjà lancé une « cyber action » contre la réforme de la justice des mineurs : une pétition en ligne (Cnb.avocat.fr) à envoyer au ministère de la Justice.


« La loi rompt l’équilibre entre répressif et éducatif »

Libération - 15/06/2011

Interview de Marie-Rose Moro, pédopsychiatre. Elle dirige la Maison des adolescents de Cochin (Maison de Solenn), à Paris.

« Cette loi est extrêmement violente, car elle ne respecte pas les besoins de l’enfant. On sait pourtant aujourd’hui agir contre le terreau de l’agressivité, pour changer les destins de ces jeunes et ne pas les enfermer dans la violence : les activités éducatives, les psychothérapies, les médicaments parfois.

« Le projet de loi rompt l’équilibre entre répressif et éducatif qui avait été instauré par l’ordonnance de 1945 : la répression qu’il organise risque d’augmenter le traumatisme des enfants, donc leur violence, pour répondre à un simple affichage autoritaire et simpliste. Un enfant auteur d’un acte violent est un enfant qui va mal - c’est plus vrai que pour les adultes, chez qui les causes sociales ont une influence plus grande. Il est souvent déprimé, dans une grande précarité familiale. Plongé dans une impasse existentielle, il ne voit plus qu’une solution : tourner la violence contre lui ou les autres.

« Ces dernières années ont rendu moins rares les incarcérations de mineurs [1]. Or, on sait les effets de l’enfermement chez un enfant : en l’emprisonnant, on arrête son développement psychologique. Pour grandir, pour se consoler, pour se réparer, il a besoin d’une relation avec les autres : parler, expérimenter… Je vois dans mon cabinet des enfants sortant de prison qui souffrent de syndrome post-traumatique qu’on retrouve chez ceux qui vivent une guerre : peurs, cauchemars, sursauts à certains bruits… J’ai vu des enfants qui avaient totalement perdu confiance dans la capacité des adultes à les protéger : ils s’enferment alors dans une perte de confiance globale dans le monde, ne croient plus au savoir, à la famille, à l’école… Or, ces enfants devront réintégrer la société : personne, même parmi les plus sécuritaires, n’imagine enfermer à vie ses enfants…

« L’ordonnance de 1945 témoignait d’une bienveillance à l’égard des adolescents. Désormais, nous nous méfions d’eux. Oui, physiquement, ils sont plus grands, et alors ? Je fais de la pédopsychiatrie depuis vingt-cinq ans et je ne les ai pas vus changer. Sur le plan psychologique, leur développement ne s’est pas accéléré, leur immaturité est la même. Avez-vous remarqué que les noms ont changé ? On dit "mineurs", maintenant. Pour mieux mettre de la distance entre nous et nos enfants. »


« Vous imaginez un enfant de 13 ans avec un collier de chien ? »

Libération - 15/06/2011

Interview de Dominique Attias, membre du Conseil national des barreaux. Elle était avocate d’affaires. Il y a onze ans, elle s’est spécialisée dans la justice des mineurs.

« Au-delà de toute position philosophique, cette réforme est complètement contreproductive. Au lieu d’améliorer les dispositifs de réinsertion, elle risque d’écarter définitivement ces jeunes de la société. Elle crée d’abord un "dossier unique de personnalité", où seront réunis tous les rapports faits sur le mineur sur les onze derniers mois : anciens délits et informations sur son parcours pénal, mais aussi les rapports réalisés dans le cadre de l’assistance éducative, c’est-à-dire des informations intimes sur la scolarité, la famille, la fratrie, les agressions sexuelles intrafamiliales s’il y en a eu… Ils seront accessibles à l’éducateur, au juge, mais aussi au parquet et à l’avocat de la victime.

« Pis : il suffira qu’il existe un rapport dans le dossier de personnalité du jeune pour que le procureur puisse décider de le faire passer devant un tribunal pour enfants, sans passer par le juge des enfants. On a dit à des familles : "Dans le bien de votre enfant, confiez-nous votre histoire familiale" et on menace maintenant de la retenir contre lui… C’est un scandale pour la vie privée comme pour la liberté individuelle.

« Les sanctions, elles, se multiplient. Le texte prévoit d’élargir le recours aux centres éducatifs fermés (CEF) : si certains font du bon travail, d’autres sont de véritables maisons de correction, comme l’a noté le contrôleur des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue. J’ai des gamins qui ont été envoyés là-bas et qui ne pensaient qu’à une chose, "rentrer chez maman"… C’est d’ailleurs chez leur mère qu’on les a retrouvés quand ils ont fugué. Mais cette fugue, inscrite sur leur dossier, leur fait risquer la prison… Ils pourront aussi être placés sous surveillance électronique dès 13 ans. Vous imaginez un enfant de cet âge avec un collier de chien ? Et pour couronner le tout, sur réquisition du parquet, les parents absents à l’audience de leur enfant pourront être "immédiatement amenés par la force publique devant la juridiction". En clair, ça veut dire qu’ils vont arriver au tribunal menottés. Pour restaurer l’image des parents, il n’y a pas mieux… et pour donner la haine aux enfants : bingo ! »


[1] Les mineurs détenus sont 805 au 1er juin contre 683 à la même date l’an dernier. Une hausse en partie due aux peines plancher


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Publié sur OSI Bouaké le mardi 21 juin 2011

 

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