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"Une frénésie de torture", en Argentine entre 1979 et 1983


Mots-Clés / Torture

Courrier international - 24 Septembre 2013 -

En 2010, Miguel Angel Molfino témoignait au procès de douze anciens policiers et militaires accusés de torture et de violation des droits humains au cours de la dictature militaire. Arrêté à Buenos Aires en 1979, il est resté en prison jusqu’en 1983.

"Crache le démon", hurlait le policier José María Cardozo qui torturait Miguel Angel Molfino. A l’audience, l’écrivain et journaliste a évoqué les deux jours d’enfer qu’il a endurés, témoignant dans le cadre du procès Caballero où sont jugés des crimes contre l’humanité commis à la Brigade d’enquêtes de Resistencia (capitale de la province du Chaco) entre 1974 et 1979.

Dix ex-policiers et deux militaires sont inculpés. [Pendant la dictature, entre 1976 et 1983, les forces armées avaient ouvert dans tout le pays des centres de détention clandestins, parfois appelés "brigades", où était organisée la disparition de nombreuses personnes.]

Molfino, ancien militant de l’Armée révolutionnaire du peuple (ERP), était accompagné de toute sa famille, jusqu’au "plus petit", Martín, 98e petit-fils récupéré [par l’association des grands-mères de la place de Mai] et fils des disparus Gustavo Amarilla et Marcela Molfino.

Chiffonnant une feuille de papier qu’il a fini par ne pas lire, Molfino a d’abord prêté serment sur "les compagnons tués et disparus". "Connaissez-vous les accusés ?" lui demande-t-on.

"Oui. Ce sont des tortionnaires."

Avant d’exposer son cas, il résume l’histoire de sa famille : sa mère assassinée en Espagne dans le cadre du plan Condor [système de répression sans frontières auquel ont participé la plupart des dictatures d’Amérique du Sud], l’une de ses sœurs, Marcela, et son beau-frère, Gustavo, portés disparus, son frère et son autre sœur emprisonnés ou contraints à l’exil avec leurs époux.

L’antichambre de l’enfer

Molfino prenait un café avec l’architecte Eduardo Buticce dans un bar de Buenos Aires quand il a été arrêté le 23 mai 1979.

Il avait quitté Resistencia parce qu’il était menacé par la "triple A" (Alliance anticommuniste argentine), qui lui avait volé sa voiture.

On le conduit au commissariat n° 3 où les policiers lui ont "fait faire le sous-marin" en lui plongeant la tête dans un "seau rempli de merde et de pisse". Puis on le fait monter, menotté et sous escorte, dans un avion de ligne pour Resistencia, où il est enfermé dans la prison de la police avant de passer sous la coupe des militaires et d’être transféré à la Brigade d’enquêtes de la ville. "Si l’enfer existe, cet endroit en était l’antichambre", déclare Molfino.

Il se retrouve face à l’un des accusés, Gabino Manader. "L’incarnation du mal", commente Miguel Angel. La première chose qu’entend le prisonnier, c’est "le cri de joie animal" du commissaire Carlos Thomas, aujourd’hui décédé, qui était le chef de la "bande".

"Il n’y avait pas de questions. Seulement une frénésie de torture", poursuit Molfino. "L’organisation [ERP] était décimée, elle n’existait plus. [Mais] ils voulaient me détruire. Ils me frappaient avec perversité. Je ne comprends toujours pas cette obsession d’envoyer des décharges électriques dans les parties génitales et l’anus. Cardozo me criait : ’Crache le démon !’" Un jour, Manader lui "brise un tympan en le frappant avec un téléphone".

Pesant chaque mot, il rapporte la conversation de deux de ses geôliers : "Les révolutionnaires sont tous des putes." Les mêmes lui "enfoncent un bâton dans le derrière", ce qui lui provoque une hémorragie. Il est examiné par un médecin qui l’envoie à l’hôpital.

Un certain Dr Schamber lui demande ce qui s’est passé. "Ce sont des marques de naissance", répond Miguel Angel, qui n’avait pas perdu son sens de l’ironie. Le médecin ne veut pas le laisser partir mais les agents de la Brigade l’emmènent.

"Je n’en pouvais plus. J’avais envie de mourir."

Molfino est alors transféré à la prison de la police puis à l’unité pénitentiaire n° 7 : "J’ai demandé un médecin et ils m’ont conduit devant le Dr Schanton, une vieille connaissance de la famille. Je lui ai raconté les tortures que j’avais subies à la Brigade et je lui ai dit que j’urinais du sang. Il me dit : ’Ça ne serait pas que tu te branles beaucoup ?‘“

De retour à la Brigade, on l’enferme dans une cellule. La torture continue. Il finit par être traduit devant un conseil de guerre : son avocat, un militaire, lui conseille de se déclarer coupable de l’assassinat de Juan Carlos Sánchez [un général assassiné par l’ERP en 1972].

[Incarcéré en novembre 1979, Molfino ne recouvrera la liberté qu’en 1983. En 2010, les accusés seront condamnés à des peines de prison allant de quinze à vingt-cinq ans.]

(c) Dessin de Falco


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Publié sur OSI Bouaké le mercredi 25 septembre 2013



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