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Témoignages : « En prison, les gardiens sont infantilisés »



Libération - 16 juillet 2013 - Recueilli par Sonya Faure -

Des acteurs du monde pénitentiaire d’aujourd’hui réagissent à la lecture du livre de l’historien Philippe Artières qui fait ressurgir l’action du Groupe d’information sur les prisons, lancé en 1971.

« Médecin en prison, un métier normal dans un milieu qui ne l’est pas »

Anne Lécu, médecin à la prison de femmes de Fleury-Mérogis

« Mais la chose qui m’a le plus écœurée c’est d’avoir vu les gens attachés pendant une semaine et plus. Je puis affirmer sous la foi du serment qu’on ne les détachait pas pour manger. » Docteur Rose, psychiatre de la centrale de Toul, 1972

« Depuis 1994, les soins en prison ne dépendent plus du ministère de la Justice, mais de l’hôpital le plus proche. La contention a disparu - même si on retrouve des situations qui m’y font penser aujourd’hui : le fait de mettre des gens dans des cellules lisses ou dans des pyjamas en papier pour éviter le suicide par exemple. Les fioles où on diluait les médicaments et qui étaient transmises aux détenus par les surveillants (pour réduire les trafics) n’existent plus. Ce sont les médecins qui les remettent en main propre... et les comprimés sont effectivement devenus une monnaie d’échange entre détenus. Ça illustre bien les tensions entre la sécurité et le soin. Pour nous ce sont des patients qui sont incarcérés. Pour les surveillants, des détenus qui sont occasionnellement malades.

« En prison, il faut renoncer à une partie de son pouvoir - ce qui est difficile pour un soignant. Certaines choses doivent rester sous le contrôle des surveillants. Par exemple le suicide : jamais je ne prescris une surveillance nocturne [le détenu dépressif est alors réveillé plusieurs fois par nuit, ndlr]. Soit la personne va mal et elle doit aller à l’hôpital. Soit elle ne va pas mal et ce n’est pas à moi d’intervenir sur la vie en détention.

« Est-ce que M. X est dangereux ? Son état est-il compatible avec le quartier disciplinaire ? Il y a des réponses auxquelles on n’a pas à répondre. A Fleury, contrairement à d’autres établissements, nous avons refusé de remplir la case « santé » du Carnet électronique de liaison des détenus [qui réunit les observations sur les détenus, ndlr].

« C’est un métier subtil, les réponses doivent être proportionnées aux événements qu’on voit. J’ai un jour fait remonter les violences d’un surveillant à mon chef de service. Il s’est fait remonter les bretelles, mais il est toujours en poste. Etre médecin en prison, c’est un métier normal dans un milieu qui ne l’est pas. »

  • La prison, un lieu de soin ? de Anne Lécu, Ed. Les belles lettres.

« Il faut supprimer le mitard »

Une détenue, purgeant une longue peine

« Amélioration des douches collectives ; meilleur traitement vis-à-vis des détenus vu les sévices, aussi bien moraux que corporels ; une meilleure rémunération du travail ; amélioration des quartiers disciplinaires (chauffage) ; suppression du rationnement du pain… » Cahier de revendications de la centrale de Toul, 1972

Libération a envoyé Intolérable par courrier à une détenue. La réponse rédigée ne nous est jamais parvenue. Elle a finalement pu faire sortir ses notes lors d’une permission. Elle y a dressé son propre cahier de revendications.

« Les urgences en 2013 :

  • abrogation des commissions de discipline :que les mesures se prennent au tribunal avec de vrais magistrats.
  • suppression immédiate du mitard : le confinement en cellule suffit.
  • permission de sortie systématique inscrite dans l’exécution de la peine, idem pour la libération conditionnelle.
  • droit du travail comme à l’extérieur : salaire - retraite - syndicat…
  • droit de se syndiquer, de se réunir, d’avoir un regard sur notre détention, notre quotidien. Après tout, on est usager d’un service public.
  • droit d’association, d’expression collective, représentation de détenus dans toutes les prisons. Avec un vrai pouvoir. Etre force de proposition.
  • secret de la correspondance
  • abolition des fouilles à corps.
  • suppression des fouilles de cellule, hormis suspicion de délit. »

La détenue a aussi relevé cette phrase d’un détenu des années 70 : « Comment rester un homme, quand on a été mis nu pour être fouillé ? » Elle écrit également : « Comment rester un homme est toujours d’actualité. On est toujours transporté dans ce qu’on nomme des "bétaillères", même les hospitalisations se font avec des menottes […]. Les militants politiques ont disparu […]. Les actions de détenus qui ont obtenu par l’intermédiaire des tribunaux que le droit soit reconnu dans les prisons sont menées individuellement. Il est difficile de réunir plusieurs détenus pour une même cause […].De nombreux détenus pensent que tout ceci ne sert à rien. Puisque jamais rien ne bouge, ils attendent. »


« Aujourd’hui, on parle technique »

Jean-Marie Delarue, contrôleur des prisons

« Des barreaux plaqués or et du poulet à chaque repas ne changeraient rien à la condition profonde du détenu. » Un détenu de la Santé, 1971

« Je partage cette analyse : malgré des barreaux plaqués or, la prison restera la prison. C’est l’ensemble du système pénal qu’il faut critiquer. Sur ce point, la dénonciation politique s’est peut-être affadie depuis les années 70. Le GIP dénonçait, à travers la prison, le pouvoir et ce qu’il fait subir aux hommes. Aujourd’hui, nous parlons « technique » : surpopulation, etc. Au regard militant a succédé une analyse en terme de droits fondamentaux des personnes, qui peut être aussi subversive.

« Il faut donner quitus à l’administration pénitentiaire d’avoir évolué : la moitié du parc des prisons a moins de vingt-cinq ans, le recrutement du personnel s’est amélioré. Mais on voit aussi en quoi la prison a régressé : dans les années 70, il s’agissait de purger sa peine. Aujourd’hui, des individus étiquetés comme « dangereux » doivent être domestiqués. Si, en 1970, on réprimait plus brutalement les têtes brûlées, on généralise, aujourd’hui, les normes de sécurité à tous : vitre sans tain, vidéosurveillance…

« Les récits du GIP n’abordent pas la tension entre détenus. Sans doute car le GIP prend la prison comme un bloc : c’est le rapport au pouvoir qui est étudié. Mais aussi parce qu’en 1971, il y avait bien moins de détenus qu’aujourd’hui. Il ne faut pas se laisser berner par les progrès matériels. On peut lire dans les textes du GIP le récit d’un repas au réfectoire. Aujourd’hui, il n’y a plus de réfectoire, ce qui dit l’isolement des détenus. La pression incessante sur soi, la perte de l’intimité, la dépendance aux tiers, la rupture avec l’extérieur restent inchangés. Il n’y avait d’ailleurs pas tant de suicides dans les prisons des années 70. »


« Les gardiens sont infantilisés »

Claire Verzeletti, surveillante pendant sept ans, militante CGT

« Le comportement des surveillants est très variable, dépendant en général de la quantité d’alcool bu pendant la journée. » Un détenu d’Epinal, 1971

« Bon, des surveillants « alcooliques » et « illettrés », comme disent les détenus interrogés par le Groupe d’information sur les prisons, il devait y en avoir, à l’époque. C’était alors un métier familial, les fils de gardiens de prison devenaient gardiens de prison. Aujourd’hui la formation dure huit mois : du droit, un peu de psychologie, des cours sur l’alcool ou la toxicomanie, et beaucoup de pratique (tir, self-défense…). Près des deux tiers des personnes reçues au concours ont le bac.

« Lire les textes du GIP n’a pas été facile : certains passages témoignent des maltraitances commises par les surveillants. Comme beaucoup de mes collègues, je n’ai pas choisi mon métier - j’ai eu de longues périodes de chômage et de petits boulots. Mais j’ai besoin que ma profession ait un sens, et donc que la prison soit utile. En tout cas, humaine.

« Les textes de l’époque décrivent un monde clos, où il peut se passer tout et n’importe quoi. On le sent encore aujourd’hui, mais les détenus sont davantage conscients de leurs droits et de plus en plus de personnes venues de l’extérieur y travaillent. Pourtant, l’arbitraire subsiste. Il existe bien des règlements intérieurs, mais ils restent vagues, varient d’un établissement à l’autre et laissent une grande marge de manœuvre au directeur de l’établissement.

« Dans le livre [de Philippe Artières], un docteur parle des surveillants comme des « autres victimes » de la prison, « épuisés nerveusement ». Aujourd’hui encore, les personnels sont maltraités par leur hiérarchie, infantilisés, ils restent des exécutants. Aux yeux des détenus, on ne sert à rien d’autre qu’à ouvrir ou fermer des portes. S’ils veulent obtenir quelque chose, ils savent bien qu’il vaut mieux nous contourner… On est bien loin des textes de loi qui nous donnent un rôle dans leur réinsertion.

« Enfin, une chose semble immuable : la prison est toujours pensée avant tout comme une punition. Il arrive que des personnels se donnent un rôle de vengeurs, ils veulent punir celui qui a fait le mal. Mais c’est un sentiment qui imprègne de manière inconsciente le système lui-même. »


« Il n’y avait rien sur la sexualité »

Louis Joinet, ancien magistrat et membre du GIP

« Pouvez-vous décrire les conditions du parloir ? - Non, il faut les vivre. On peut tout de même mentionner le bruit, la saleté, et surtout la tension constante créée par l’attente de la 30e minute qui termine la visite. » Une détenue de la santé, 1971

« J’ai été éducateur de rue, juge, expert indépendant à l’ONU  , pour laquelle j’ai enquêté sur 170 prisons dans le monde. A chaque fois, l’importance du parloir m’a sauté aux yeux : la veille, le détenu est déjà dans l’attente. Dans les heures qui précèdent les parloirs, il règne dans la prison une atmosphère incroyable. Le drame, c’est quand l’épouse rate son train.

« Membre du GIP, je n’étais pas d’accord avec tous les mots d’ordre : l’« abolition des prisons » par exemple, un slogan assez paradoxal avec le fait de faire passer des cahiers de revendication pour améliorer les conditions de détention… Mais ce qui m’intéressait, c’était de donner la parole aux droits communs. Jusqu’alors, les organisations internationales ne s’intéressaient qu’aux détenus politiques - et certaines ont eu du mal à accepter l’idée de défendre les droits de délinquants. Avec les cahiers de doléances, on s’est aperçu que beaucoup de revendications étaient terre à terre : amélioration des douches, chauffage au quartier disciplinaire, suppression des « galons de bonne conduite » - distribués aux détenus qui se comportaient bien, ils favorisaient en réalité la délation.

« Mais, aujourd’hui, ce qui me saute aux yeux, c’est l’absence de référence à la vie sexuelle des détenus. Le GIP n’a jamais réfléchi aux surveillants non plus, c’est un regret. Dans toutes les prisons où j’ai été, je leur ai toujours donné une attention presque aussi grande qu’aux détenus : il faut détecter ceux par qui le changement pourrait arriver.

« Le succès de l’OIP   [Observatoire internationale des prisons, inspiré du GIP, ndlr], c’est d’avoir réussi l’impossible : que les droits communs se saisissent de la question de l’administration des prisons, ce qui est déjà une forme de démocratie. Le GIP a aussi permis de faire connaître les révoltes. Car c’est ce qui pourrait arriver de pire : le prisonnier se révolte et nul ne le sait. »

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« Le recours au droit est apparu »

Etienne Noël, avocat spécialisé dans le droit pénitentiaire

« Vous a-t-on dit quels étaient vos droits en prison ? - Non. Une fois, j’ai posé la question au surveillant-chef, qui m’a répondu qu’une fois en prison, je n’avais que des devoirs envers l’administration pénitentiaire. » Un détenu de la Santé, 1971

« A l’époque, il n’y avait que deux possibilités : monter sur les toits ou porter le combat des prisons dans la presse. Le seul combat qui pouvait être celui du GIP, c’était d’épauler la lutte quasi physique des détenus contre l’administration pénitentiaire. L’évolution a depuis été paradoxale. La surpopulation s’est aggravée, mais une nouvelle voie de contestation s’est ouverte aux détenus : le recours au droit. Dans les années 70, rares étaient les avocats qui allaient en taule - aujourd’hui encore, peu d’avocats maîtrisent le droit pénitentiaire. Personne n’imaginait aller devant un juge pour attaquer l’Etat.

« Mes premiers recours devant le Conseil d’Etat datent de 1997. Mon client avait été violé par ses codétenus sans que la pénitentiaire ne s’en rende compte et n’agisse. Les juges ont condamné l’Etat. Entre 1997 et 2005, j’ai multiplié les recours mettant en cause les manquements de l’administration dans des affaires de viols, de meurtres ou de suicides. Mais à partir de 2005, je me suis attaqué aux conditions indignes d’incarcération, à la vie quotidienne : la cohabitation en cellule, l’état désastreux des toilettes, le manque d’aération… Au début, je n’ai eu qu’un seul gars. Puis 3, puis 25. J’ai obtenu la condamnation de l’Etat pour 200 personnes à Rouen, 10 en Guadeloupe, 6 à Marseille…

« Cette pression a permis des améliorations à la marge, mais le principal s’est joué dans la tête des détenus : ils savent qu’ils peuvent présenter la facture, même symbolique, au garde des Sceaux. Il y a eu une inversion du panoptique [une architecture qui permet au gardien d’observer tous les détenus de son poste de surveillance, ndlr] : ce sont les détenus qui s’arrogent le droit de regarder l’Etat. L’entrée du droit en prison a permis le contrôle de la pénitentiaire par les détenus, de retourner contre l’Etat ses propres armes. »

  • Etienne Noël est l’auteur de Aux côtés des détenus, un avocat contre l’Etat, François Bourin Editeur.

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Publié sur OSI Bouaké le jeudi 22 août 2013

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