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Quand la justice se met à scruter le cerveau des criminels


Mots-Clés / Psy / Justice

Rue89 / Par Catherine Vidal | Neurobiologiste | 20/03/2011 |

Aux Etats-Unis, l’imagerie cérébrale est utilisée par le système judiciaire pour mieux connaître l’état mental des accusés et des témoins. En France, où l’expertise psychique s’appuie sur des entretiens, cette technologie séduit autant qu’elle inquiète.

On dénombre aux Etats-Unis 130 procès au cours desquels des spécialistes de l’imagerie cérébrale ont été convoqués pour éclairer les juges et les jurés sur l’état du cerveau des accusés et des témoins. Le sujet des applications juridiques des neurosciences est devenu une thématique de recherche à part entière dénommée « neurolaw » (le « neurodroit »).

Ce n’est pas le cas en France, où psychiatres et psychologues s’appuient avant tout sur des entretiens. Mais pour combien de temps encore ? Le modèle américain tend à s’imposer avec la perspective de voir les neurosciences suppléer le médecin clinicien dans l’évaluation de la responsabilité et de la dangerosité d’un prévenu.

A la recherche des zones cérébrales du crime

Violence, agressivité, atteinte à l’ordre moral, criminalité, terrorisme… Tous ces comportement déviants auraient-ils leur origine dans le cerveau ? Pour certains chercheurs, la méthode de choix est l’imagerie par IRM qui permet de voir le cerveau vivant, sans avoir à ouvrir la boite crânienne. Le nombre de publications sur ces thèmes explose, principalement aux Etats-Unis. De 70 articles publiés de 1990 à 2000, on est passé à 350 de 2000 à 2008.

Le professeur de psychologie américain Adrian Raine étudie les bases neuronales des comportements de type antisocial, agressif et criminel dans l’objectif de « mettre au point de nouveaux traitements et des programmes de prévention pour ces maladies très coûteuses à la société ».

Il observe que des psychopathes violents ont une légère réduction de l’épaisseur du cortex cérébral qu’il interprète comme la preuve d’une origine biologique des comportements agressifs.

Or, cette conception ne tient pas compte de la plasticité du cerveau dont la structure change en fonction de l’expérience vécue. On ne peut pas déterminer l’origine des variations d’épaisseur du cortex ni établir une relation de causalité avec un comportement déviant.

Comment fonctionne le cerveau des criminels ?

Couverture du numéro 4 de la revue RavagesPour répondre à cette question, des chercheurs ont utilisé l’IRM fonctionnelle pour analyser l’activation du cerveau en réponse à des photos de visages exprimant des émotions de bonheur ou de malheur.

Certains psychopathes réagissent peu au malheur, et donc manqueraient d’empathie pour leurs victimes…

On notera que ces tests se déroulent dans des conditions de laboratoire qui n’ont rien à voir avec la réalité de la vie.

De plus, le faible nombre de sujets testés, 10 à 40, rend les résultats difficilement généralisables. L’IRM est manifestement loin de représenter la caution scientifique prônée par certains dans la pratique de la justice.

L’épidémie de la neurophilie

La rapidité avec laquelle les sciences du cerveau s’insinuent dans la société est frappante. Le « neuro » est partout : neuroéconomie, neuromarketing, neurophilosophie, neurogymnastique, neurojustice.

Derrière cette « neurophilie » se cache un avatar de plus de l’idéologie du déterminisme biologique. Allié à la fascination exercée par les images IRM du cerveau, l’argument neuroscientifique devient éminemment séduisant dans une logique sociétale de course à la certitude et de demande sécuritaire.

En réalité l’IRM donne un cliché instantané de l’état du cerveau d’une personne à un moment donné. Elle n’apporte aucune information sur les motivations et les pensées du criminel au moment de l’action. Elle n’a pas de valeur de diagnostic ni prédictive sur l’émergence de comportements déviants.

Finalement, il est important de garder à l’esprit que la majorité des comportements antisociaux ou criminels est le fait d’individus au cerveau normal.

Ce texte est extrait d’un article paru en janvier 2011 dans le n°4 de la revue semestrielle « Ravages » (en librairie).


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Publié sur OSI Bouaké le jeudi 24 mars 2011