OSI Bouaké - « Qu’on ne tue pas un seul Togolais pour un bulletin » Accueil >>  Zone Franche

« Qu’on ne tue pas un seul Togolais pour un bulletin »



Rue89 - Par Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana | L’observateur paalga | 27/01/2010 | 17H05

(De Lomé) Lorsque Kofi Yamgname quitte Bandjeni, son village natal au Togo, pour la France, il n’a que 18 ans. 45 ans plus tard, une vie de simple citoyen et d’homme politique bien remplie dans l’Hexagone -notamment un passage au gouvernement français comme Secrétaire d’Etat à l’intégration de Lionel Jospin- voilà l’homme de retour au Togo pour briguer la magistrature suprême. Interview.

A travers son mouvement, Sursaut-Togo, cet homme de 64 ans veut mettre fin à la « peur, omniprésente dans les yeux des Togolais ». Il veut persuader ses compatriotes, à l’occasion de l’élection présidentielle prévue le 28 février, que le Rassemblement du peuple togolais (RPT), le parti au pouvoir du président Faure Eyadéma, est frappé d’obsolescence. Entretien avec un candidat togolais atypique.

Pourquoi, après tant d’années dans le Finistère, avez-vous décidé de participer à cette course à la magistrature suprême ?

Tout simplement parce que c’est mon pays, le Togo, même si je suis resté très longtemps hors de celui-ci. Le Togo ne va pas bien. Je viens apporter des solutions. Je n’ai jamais dit que j’étais le Messie ni le sauveur.

J’ai seulement dit que j’avais la capacité d’apporter ma quote-part au redressement de la situation politique et économique de ce pays. Je ne suis pas revenu au Togo en rasant les murs ; tout comme je ne suis pas allé en France en rasant les murs. J’y suis allé pour mes études. En France, je suis également chez moi, au Togo, je suis chez moi.

Justement, n’est-ce pas trop facile de demeurer 45 ans en France et de revenir après au Togo pour jouer les opposants ?

Quand j’étais à Paris, je n’étais pas un militant du RPT. Je suis un opposant parce que je suis un démocrate. Ce que je souhaite, c’est que tous les hommes dans ce pays puissent parler librement, aller où ils veulent, faire ce qu’ils veulent. Je veux que les Togolais cessent d’avoir peur. Il faut que cela cesse : cette peur de la violence, des lendemains qui déchantent, de l’inconnu.

Je ne poursuis pas deux lièvres à la fois. J’ai épuisé tous mes mandats en France. Je n’en ai aucun à présent. Je suis donc libre actuellement. J’ai estimé que, compte tenu de l’expérience qui est la mienne, compte tenu de mes capacités de rassemblement, je l’ai montré ailleurs, il faut absolument que je rassemble les Togolais.

Au vu du mode de scrutin et du fait que vous êtes un nouvel arrivant dans le microcosme togolais, peut-on vous qualifier de candidat accompagnateur ?

Je ne sais pas ce que ça veut dire, candidat accompagnateur. Ce que je peux vous dire, c’est que je suis un candidat indépendant. Il y a 94 partis politiques au Togo. C’est pourquoi je n’ai pas trouvé nécessaire d’en créer un 95e. Je suis indépendant de l’UFC, du RPT, du CAR… Je suis tellement indépendant que l’UFC pense que je travaille pour le RPT et vice-versa. Ce qui montre que je suis exactement à l’endroit ou je dois être.

Une dizaine de candidats ont déposé leurs dossiers. La plupart réclament un report du scrutin. Adhérez-vous à cette exigence ?

Absolument, je suis allé moi-même dans mon village natal, Bandjeni. J’ai vu les difficultés et les dysfonctionnements, j’ai vu les longues files d’attente qui se multiplient. Les appareils étaient tous en panne. Tantôt c’est l’imprimante ou l’ordinateur qui est en panne, ou le groupe électrogène, ou ce sont les cartes qui manquent. J’ai vu des jeunes de 14-15 ans que le RPT a inscrits sur les listes. Tout cela n’augure pas le bon déroulement du scrutin. C’est cela qu’il faut corriger.

Beaucoup de Togolais n’ont pas pu s’inscrire. De Lomé jusqu’à Cinkansé, c’est comme cela. Il faut qu’on recommence toutes ces opérations. A partir de là, on ira au scrutin. Donc moi, ça ne me dérange pas qu’on recule la date du scrutin. Le Togo n’est pas à deux doigts d’entrer dans l’arène des pays démocratiques. Alors, un peu de bon sens.

L’opposition est plombée par le mode de scrutin à un seul tour. Votre commentaire.

L’opposition a probablement failli à son devoir. L’Assemblée nationale est le lieu où on vote les lois. Quand la loi a été modifiée pour y introduire un seul tour, c’était aux députés de l’opposition, ils étaient 31 au total, d’y faire barrage. Pour dire non. Probablement ils n’auraient pas eu gain de cause à cause de la majorité. Mais il fallait qu’ils essayent. Ils auraient pu donc appeler le peuple au secours, puisque cela est permis par la constitution, le peuple aurait été témoin de leur acte.

L’article 4 de la Constitution du Togo permet d’appeler le peuple au secours, c’est-à-dire de prendre l’initiative d’un référendum populaire. 500 000 signatures au Togo, c’est rien ! On aurait obligé le pouvoir RPT à aller au référendum. Ils n’ont pas fait cela, qui était la deuxième étape de leur lutte. Ils ont sauté cette étape et sont allés directement à la 3e en appelant les gens à sortir dans la rue. La rue ne vote pas les lois, c’est l’Assemblée qui vote les lois.

Il est vrai qu’une élection à un tour dans un pays où il y a 94 partis est un non-sens. Imaginez que chaque parti présente un candidat, et que les 93 fassent 1% chacun ; si le 94e fait 5%, il gagnerait.

Au lendemain de la présidentielle d’avril 2005, on a dénombré des centaines de victimes. 5 ans après, ne craignez-vous pas un retour des vieux démons ?

C’est possible que le RPT prépare des violences ; les menaces, c’est cela aussi le Togo. Quand vous sortez dans la rue et que vous regardez un Togolais, vous avez une photographie instantanée de tous les Togolais. Qu’est-ce que vous lisez dans ses yeux ? La peur, la peur ! C’est à pleurer. J’espère qu’on n’aura pas ces violences. Je prends le président Faure Gnassingbé au mot : il veut une élection tranquille, paisible, démocratique, j’entends qu’il applique ces principes.

Il a pris cet engagement devant tout le peuple et la communauté internationale. Je le prends au mot. Qu’on ne tue pas un seul Togolais pour une histoire de bulletin à mettre dans une urne, a fortiori 500, selon l’ONU  , ou 1100 selon les Togolais [le nombre de morts lors des élections de 2005, ndlr] ; et le gouvernement, toute honte bue, a mis une commission en place qui annonce 150 morts. Mais même un mort, c’est un mort de trop, c’est insupportable. J’espère que tout va bien se passer, et qu’aucune goutte de sang ne sera versée.


VOIR EN LIGNE : Rue89
Publié sur OSI Bouaké le jeudi 28 janvier 2010

LES BREVES
DE CETTE RUBRIQUE