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Le nucléaire est un bien public mondial


Mots-Clés / Nucléaire

Le Monde.fr | 17.03.11 |

Les nouvelles en provenance du Japon revêtent dorénavant un caractère tout simplement dramatique. A quelques jours du triste 25e anniversaire du drame de Tchernobyl, le monde vient de connaître sa seconde catastrophe nucléaire civile en moins d’un quart de siècle. Au delà des douleurs et des risques, la crise nucléaire japonaise démontre à l’évidence les limites du discours juridique de la "transparence"…

En période de choc grave, les pouvoirs publics continuent à hésiter – et c’est très compréhensible – entre informer au risque de paniquer et se taire au risque de ne pas gérer… S’il est encore trop tôt pour estimer les conséquences humaines et sanitaires de la catastrophe de Fukushima, il semble acquis que la confiance des opinions publiques dans cette source d’énergie sortira ébranlée de cette crise.

L’accident de Tchernobyl avait entrainé une remise en cause complète du cadre juridique international de l’énergie nucléaire et une forte évolution de son application dans les pays dotés de l’atome. Il a placé la notion de "sûreté" au cœur des débats juridiques et politiques internationaux, notion alors réservées aux seuls cadres internes aux Etats. Il fallait regagner la confiance des opinions nationales, déjà ébranlées par l’accident de Three Miles Island. Cette évolution du cadre juridique avait en partie atteint son objectif.

Déjà en 1979, après l’accident de Three Miles Island, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) avait exprimé son intérêt pour la coopération internationale en cas d’accident nucléaire. La catastrophe de Tchernobyl allait de manière dramatique rappeler à la communauté internationale la nécessité de se doter de solutions d’urgence. Face aux accidents nucléaires et aux situations critiques, le précédent de Tchernobyl témoignait d’une défaillance avérée des autorités soviétiques et de l’impuissance des Etats riverains impactés par le nuage radioactif. Conséquence, fait rarissime en droit international, deux textes conventionnels seront élaborés en un temps record : en moins de quatre mois, les négociations aboutirent le 26 septembre 1986.

La Convention sur la notification rapide d’un accident nucléaire et la Convention sur l’assistance en cas d’accident nucléaire ou de situation d’urgence radiologique entreront en vigueur en un temps record, respectivement le 27 octobre 1986 et le 26 février 1987. L’émotion passée, il a fallu encore attendre cinq années pour que s’impose un corpus juridique contraignant avec la Convention sur la sûreté nucléaire.

Au cours des vingt ans qui suivirent l’accident de Tchernobyl, ce ne sont pas moins de dix instruments conventionnels qui ont été négociés et adoptés par la communauté internationale. L’AIEA a un rôle déterminant pour coordonner les efforts internationaux destinés à régler les problèmes soulevés par cet accident, lequel a contribué à dessiner les contours d’une gouvernance du nucléaire mondial. Suivant ce mouvement, de très nombreux Etats ont également modifié en profondeur leur cadre juridique de manière à placer la sûreté nucléaire au cœur des problématiques. C’est d’ailleurs le cas du Japon, même si son autorité de sûreté (METI) ne présente des garanties d’indépendance moins évidentes qu’en France ou qu’aux Etats-Unis.

Ce mouvement législatif a certainement contribué à restaurer une partie de la confiance des opinions publiques. Le mouvement de baisse continue du nombre de réacteurs en construction dans le monde a commencé à se stabiliser au milieu des années 1990 aux environ de quarante réacteurs en construction (contre plus de 200 à la fin des années 1970).

Dix ans plus tard (2005), et pour la première fois depuis 1979, le nombre de réacteurs en construction était en progression d’une année sur l’autre et pas seulement en raison de l’amélioration et du renforcement des normes internationales en matière de sûreté nucléaire. Des facteurs, externes ont largement contribué à l’émergence d’un "nouvel âge" du nucléaire civil dans le monde, dont l’incursion du changement climatique en tant que question déterminante des choix des politiques d’environnement.

Les événements dramatiques du Japon interviennent alors que la crise énergétique mondiale est déjà problématique. Le prix du pétrole et du gaz s’envolent et les énergies renouvelables, de l’aveu même des experts, ne permettront pas à moyen terme de se substituer aux énergies fossiles. En parallèle, les catastrophes climatiques se multiplient, conduisant à une prise de conscience renforcée dans l’importance qu’il y a à limiter le rejet des gaz à effet de serre, dont le CO2.

Si le maintien d’une part d’énergie nucléaire dans le mix énergétique de la communauté internationale devait être confirmé, il n’en reste pas moins que l’ensemble de la filière devra être repensée. Il existera toujours et partout un scénario dans lequel une catastrophe comme celle de Fukushima pourra se produire. Aucun opérateur, aucun gouvernement ne pourra plus garantir qu’il assumera les conséquences économiques, environnementales, sociales et sanitaires d’un accident de ce type, d’autant plus si l’installation est située dans un pays non démocratique ou aux infrastructures juridiques ou technico-scientifiques médiocres.

LA SOUVERAINETÉ DES ETATS DOIT CÉDER FACE À L’EXIGENCE DE SURETÉ

D’ores et déjà, il faut donc appeler à un nouveau changement de cap. En premier lieu, réaffirmer l’exigence de transparence. Les informations communiquées par l’autorité de sûreté nucléaire japonaise et par l’exploitant Tepco auraient été – et seraient toujours – plus que parcellaires. Certains japonais admettent que les médias nationaux ne reflèteraient pas tout à fait la gravité de la situation actuelle. Les autorités japonaises ont attendu près de 72 heures pour solliciter l’assistance des experts de l’AIEA et de l’autorité de sûreté américaine, la NRC. Au-delà de la population japonaise, la communauté internationale est en droit, au regard des conséquences potentielles de l’accident sur leurs propres populations, d’obtenir des informations fiables. La sûreté nucléaire doit définitivement sortir du domaine de la souveraineté nationale.

Le rôle de l’AIEA s’est considérablement renforcé depuis 1986. Il faut continuer et amplifier ce mouvement. L’Agence de l’énergie atomique (AEN) de l’OCDE doit s’associer avec l’AIEA pour créer une agence mondiale unique dont un "conseil de sécurité" détiendrait des prérogatives supra nationales décisives. Les experts internationaux doivent être mis en mesure d’intervenir sans attendre la demande officielle des autorités, toujours trop tardive, ou des exploitants, souvent débordés comme ce fut le cas au Japon : un droit d’auto saisine.

La gestion de cette énergie nécessite la transparence démocratique, des exploitants de grande qualité et à l’éthique irréprochable, des réacteurs présentant des garanties irréprochables, une société civile vigilante. Une liste de pays insusceptibles d’accueillir la technologie nucléaire doit être adoptée et rendue opposable aux pays producteurs de réacteurs sur des critères de transparence. Les sites d’installation doivent offrir le maximum de sécurité environnementale. La proximité avec les grandes métropoles et les littoraux doivent être des critères de sélection. Un corridor nucléaire dans chacun des Etats hôtes de centrales nucléaires doit être tracé sous la responsabilité de l’AIEA. Les digues de la souveraineté nationale doivent céder devant l’importance du risque et sa dimension extraterritoriale en cas d’accident grave. Un véritable conseil de sureté et de sécurité nucléaire mondial doit être mis en place sous l’égide des grandes agences internationales.

Les formes d’exclusion du nucléaire civil doivent être aussi drastiques que celles du nucléaire militaire et s’inspirer du traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Le parallélisme doit être complet. Un Etat ne peut accéder au nucléaire civil qu’à la condition de souscrire à l’ensemble des critères de la sureté et de la sécurité.

Le concept émergent de bien public mondial devrait utilement s’appliquer à l’énergie nucléaire. Si le Japon, l’Italie, la Turquie, le Chili ou le Mexique, du fait du handicap   de risques sismiques, n’offrent pas les garanties de sûreté suffisantes, réévaluées partout, c’est ailleurs qu’il faudra installer les centrales. Rechercher les mécanismes techniques, juridiques, politiques et entrepreneuriaux susceptibles d’en faire bénéficier l’ensemble des Etats selon des mécanismes d’échange à inventer est une nécessité. La notion de partage de l’énergie serait alors placée au centre d’un modèle de société mondiale qui refuserait les scenarii de guerre du feu. Il s’agit là d’un noble choix politique. Et de l’hommage que nous devrons au peuple japonais amis et frère dans la peine.

  • Jean-Pierre Mignard, Raphaël Romi, Sébastien Mabile et Michel Mabile sont les auteurs d’un ouvrage à paraître aux Presses universitaires de Rennes L’harmonisation mondiale des normes de sureté du nucléaire civil.
  • Jean-Pierre Mignard, Raphaël Romi, Sébastien Mabile, avocats, et Michel Mabile, ancien ingénieur au Commissariat à l’énergie atomique

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Publié sur OSI Bouaké le dimanche 20 mars 2011