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Le Kenya instaure la psychiatrie gratuite pour les déshérités


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Nairobi, 21 avr 2007 (AFP)

Fichu noué sur le front, yeux exorbités, la frêle Mary reste silencieuse, entre deux éclats de rire, devant l’étudiant en médecine qui la reçoit dans son "cabinet", un conteneur transformé en centre psychiatrique dans un bidonville de Nairobi.

Ce centre, le premier à offrir des consultations et des soins gratuits pour les personnes souffrant de problèmes mentaux, a ouvert en mai.

Depuis, des dizaines de patients, qui ont parfois parcouru des centaines de kilomètres, font la queue devant le conteneur peint en bleu et blanc, le mercredi, jour des visites.

Sur la porte grande ouverte, une affiche : "Les malades mentaux ont le droit d’être traités, d’être bien traités". Ce texte fait référence à la stigmatisation dont sont victimes les personnes atteintes de troubles psychiatriques, en particulier en Afrique.

"Depuis deux ans, Mary peut être violente, elle jette des objets. Elle disparaît pendant des jours. A l’hôpital, on nous a dit que c’était le paludisme ! Mais avec les médicaments, son comportement ne s’est pas amélioré", explique Peter Waweru, son frère.

Mary Wangari souffre en fait de troubles bipolaires, ou de maniaco-dépression, selon Alex Kasuku, l’étudiant médecin qui la reçoit.

"Elle devrait aller mieux", prédit le jeune homme en lui prescrivant des cachets.

Peter obtient les médicaments, gratuits, dans une pharmacie gérée par un centre médical de la mairie et approvisionnée par le gouvernement, tandis que Mary l’attend sous la pluie.

S’il devait payer, ce travailleur journalier qui gagne environ un dollar par jour ne pourrait simplement pas faire soigner sa soeur cadette.

Le centre, installé au bidonville de Kangemi, a pour objectif de redonner une chance aux malades psychiatriques, pour qu’ils "puissent se rétablir, retrouver un travail et réduire leur absolue pauvreté", explique Joyce Kingori de l’ONG Basic Needs, Basic Rights ("Besoins élémentaires, droits élémentaires"), qui a lancé le centre en collaboration avec la mairie.

Lydia Wangui souffrait de démence et ne pouvait plus travailler. "Elle se trompait dans la monnaie à rendre aux clients", se rappelle Reuben Lyatema, un médecin. Elle est suivie depuis mai, et maintenant elle peut gérer son étal de fruits dans les rues boueuses de Kangemi.

Le centre vise aussi à déstigmatiser les maladies psychiatriques. "Maladies mentales, arrêtons l’exclusion", peut-on lire dans une pièce exiguë du conteneur.

"Il y a beaucoup de peur, personne ne veut toucher ces malades, d’autres sont abandonnés par leur famille et traînent dans la rue, des parents ont recours à la sorcellerie", raconte Josephine Mutegi, une infirmière psychiatrique.

"Parfois, les malades sont enfermés chez eux", poursuit Silas Owiti, un responsable sanitaire de la mairie.

Alors, Reuben arpente les allées enfumées de Kangemi, va dans les églises et les écoles à la recherche de patients.

Le choix d’un bidonville pour accueillir cette expérience pilote n’est pas anodin. Les pauvres sont plus vulnérables aux maladies psychiatriques, explique Lincoln Khasakhala, un médecin.

"Certains n’ont pas d’alimentation équilibrée, et leur cerveau ne peut pas suffisamment se développer. Ils n’ont pas accès au traitement, ils sont plus sujets à des expériences de vie négatives", avec la mort de proches qui ne peuvent pas recevoir les soins nécessaires, ce qui les fragilise psychologiquement, énumère-t-il.

Le centre suit actuellement environ 300 patients. Mais il manque cruellement de médicaments. "Je prescris pour un mois, mais à la pharmacie, ils ne donnent des médicaments que pour une semaine ou quelques jours", faute de stocks suffisants, regrette Josephine.


Publié sur OSI Bouaké le mercredi 9 mai 2007

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