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Dingdingdong, pour sonner la maladie de Huntington



OSI Bouaké - 25 mai 2013 -

DingDingDong, c’est un petit livre qui témoigne anonymement de l’impact du test de dépistage et de l’annonce de la maladie de Huntington dans la vie d’une jeune femme. C’est également une association de personnes atteintes ou concernées et un blog.

  • « Manifeste de Dingdingdong », précédé de « De la Chorée », aux éditions Dingdingdong, distribué par la Découverte, 100 pages, 10 €.

Dingdingdong, pour sonner la maladie de Huntington

Libération - 25 février 2013 - Par Eric Favereau -

C’est une démarche, unique et magnifique qu’a entreprise Alice Rivières. On lui a jeté à la figure le pire des avenirs : celui d’être atteinte de la maladie de Huntington, une saloperie génétique, une maladie neurodégénérative qui se développera quand elle aura 40-50 ans, c’est-à-dire dans vingt ans. Et depuis il n’y aurait rien d’autre à faire pour elle qu’à attendre la chute. Pas de traitement, rien, juste une malédiction. C’est une des rares maladies génétiques que l’on peut dépister avec certitude.

Comment réagir ? « Dans ma famille, il y avait cette maladie, j’ai pris un nom de scène car je ne voulais pas engager sur mon nom d’autres personnes », nous dit-elle. Elle a un joli sourire, respire la vie. Elle a d’abord écrit un texte, joliment baptisé Manifeste de Dingdingdong, car cette maladie peut se transformer en une danse de saint Guy, la personne étant secouée d’une foule de gestes saccadés. Alice Rivières y raconte sa révolte quand on lui a proposé de faire le test : « Pas une seconde, dans tout ce parcours, je n’ai eu la sensation qu’on attendait de moi autre chose qu’un comportement prédéterminé, le "bon comportement", celui qui allait ou non m’ouvrir l’accès à ce que je demandais, passer ce test. Passer ce test, parce qu’à partir du moment où il existait je devais le passer… Inventer un instrument pareil me semble non seulement extraordinairement décevant, mais significatif d’une faillite très grave, inadmissible, de la médecine. Ce test est une machine qui construit du destin. »

Voilà. C’est parti. Tenter d’inverser l’ordre. Transformer une mort annoncée en un puits de savoir. « Le point de départ, c’est la déroute de la réponse médicale à notre situation », répète-t-elle avec force, reprenant au mot près et sans le savoir, ceux qui avaient fondé il y a près trente ans, l’association Aides à un moment où l’on ignorait tout du VIH  .

Là, on ne sait rien de la maladie de Huntington. « Je parlais autour de moi de la nécessité d’ouvrir un collectif. On avait besoin de réfléchir, de produire de la pensée et de rassembler des chercheurs, des philosophes, mais aussi des artistes qui pourraient apporter de l’audace et d’autres techniques d’approche. » Alice Rivières est au départ psychologue : elle a travaillé dans des lieux de grande précarité, elle est aussi écrivaine. Avec une amie, Valérie Pihet, elles cogitent. Et naît l’idée d’un collectif autour de ce manifeste. « Ce collectif ne vise ni l’information basique ni la collecte de fonds, c’est un rassemblement d’individus animés par la même tension vitale à produire de la pensée innovante à partir de l’expérience de cette maladie », disent-elles. Ce groupe a quelques mois : il y a des personnes directement concernées, mais aussi des intellectuels, comme Isabelle Stengers ou Katrin Solhdju. Et un défi : « Faire sonner les cloches pour ralentir. Et dire stop, on fait une pause, on réfléchit. »


Alice Rivières danse avec la maladie de Huntington

Le Monde Sciences et techno | 11.04.2013 par Pascale Santi -

C’est un choc violent qui s’abat sur Alice Rivières lorsqu’elle reçoit les résultats de ce satané test, il y a quelques années. La sentence tombe : la jeune femme est porteuse de la maladie de Huntington (autrefois appelée chorée). Une maladie génétique neuro-dégénérative incurable - Alice Rivières préfère le mot neuro-évolutive - qui touche l’adulte jeune, entre 30 et 50 ans : il perd progressivement ses moyens cognitifs et moteurs, ce qui provoque des mouvements incontrôlés, entraîne une perte d’autonomie, des désordres psychiques (dépression) et, dans les formes les plus avancées, la mort. Environ 6 000 personnes sont touchées en France. Le Monde.fr a le plaisir de vous offrir la lecture de cet article habituellement réservé aux abonnés du Monde.fr. Profitez de tous les articles réservés du Monde.fr en vous abonnant à partir de 1€ / mois | Découvrez l’édition abonnés Etre porteur du gène muté, c’est savoir avec certitude que l’on développera la maladie. Mais sans savoir quand, ni comment. "Comment faire d’une prédiction médicale absolument tragique, d’une maladie pour laquelle il n’existe aucun traitement, autre chose qu’un avenir désespérant ?", écrit Alice Rivières dans son Manifeste de Dingdingdong (éditions Dingdingdong, 100 p., 10 euros) récemment publié. Une démarche totalement inédite, un pari fou entrepris par cette jolie jeune femme. Celui d’inventer une grille de lecture différente de la maladie, une occasion d’explorations dans plusieurs domaines, dit-elle. Ce long cheminement, elle le raconte d’une voix calme et posée.

Impulser la vie

Issue d’une famille d’artistes, écrivain, elle chemine pas à pas pour imaginer une impulsion de vie à partir de cette situation. Et a l’idée de créer un collectif : Dingdingdong (www.dingdingdong.org). La rencontre avec Valérie Pihet, directrice du programme d’expérimentation en art et politique à Sciences Po, est décisive. "A partir du moment où on a été deux, on a rassemblé une quinzaine de personnes." Parmi elles, l’écrivaine Emilie Hermant, qui préside Ddd (pour dingdingdong) ; la philosophe Isabelle Stengers, marraine du projet ; le docteur Katia Youssov, neurologue au centre de référence de la maladie de Huntington à l’hôpital Henri-Mondor à Créteil ; la danseuse et chorégraphe Anne Collod ; des plasticiens, sociologues, historiens... Leur travail : "Explorer et raconter les expériences où cette maladie est prise comme une occasion d’inventer de nouvelles manières de considérer une altération de soi aussi radicale", définit Alice Rivières. Elle est aujourd’hui en contact permanent avec une soixantaine de personnes, "nos correspondants des terres huntingtoniennes". Elle sillonne le monde. Le collectif travaille sur la création d’un spectacle : Bons baisers de Huntington, qui sera présenté au congrès mondial de la maladie en septembre à Rio de Janeiro. L’un des volets, une chorégraphie, est signé Anne Collod. Le nom de chorée vient d’ailleurs de la propension à danser des malades. Anne Collod a pour objectif de "réaliser des portraits de personnes malades, en réécrivant leurs mouvements comme des partitions, à l’aide de la cinétographie Laban [système de notation du mouvement]. Pour porter un autre regard sur la maladie", décrit-elle. L’histoire d’Alice, qui a deux soeurs, est d’abord celle de sa famille. Une histoire qui commence au début des années 1990, quand son grand-père, qui était malade, donne un jour à sa mère un article de la presse médicale. Le jargon est incompréhensible, mais elle comprend l’essentiel : la probabilité d’une chance sur deux d’en avoir hérité, d’une chance sur deux de l’avoir transmise à ses filles. "Une annonce qui sonne comme une malédiction." Sa mère fait alors le test, et met deux ans avant d’aller chercher le résultat. Porteuse du gène muté, elle choisit de n’en parler à personne - ce qui est souvent le cas -, surtout pas à ses filles, dont deux ont des enfants. Sa maladie s’est développée à 50 ans. Aujourd’hui âgée de 68 ans, elle vit chez elle avec des aides. Elle est très touchée, mais toujours consciente de ce qui lui arrive. Et va mieux qu’il y a dix ans.

Malédiction familiale

Dès lors se pose la question pour Alice de faire ou non ce test. "Puisqu’il existait, je ne pouvais plus me passer de lui pour construire la moindre hypothèse solide quant à mon avenir", écrit-elle. Face à cet avenir de "rétrécissement généralisé", un avenir mortifère proposé par la médecine, elle avoue que le suicide lui est apparu instantanément comme "la seule contre-voie à la hauteur", la seule "réponse sensée à une proposition médicale absolument insensée". Il lui faudra quatre ans pour se soigner, non pas pour guérir - car elle n’est pas malade - "des conséquences psychologiques que les paroles prononcées au moment du test ont eues sur elle, ces formules tragiques". C’est une rencontre avec une neurologue, des années plus tard, qui a permis ce revirement, grâce à la posture d’humilité de ce médecin vis-à-vis de la maladie, qui a su employer des mots appropriés. Ce satané diagnostic a cessé d’être une malédiction au moment où Alice a mis en place cet antidote. La pensée lui donne de la joie. "Alice a toujours fait de ce qui lui arrivait un laboratoire, un point de départ à la réflexion", explique Valérie Pihet. A presque 40 ans, elle n’a pas de symptômes apparents. A l’instar de nombreuses personnes concernées, elle veut rester anonyme (Alice Rivières est un pseudonyme). Elle veut protéger sa famille - et notamment les enfants -, éviter des discriminations, et avancer masquée face aux assurances, aux banques. Car le seul mot Huntington fait peur. De même que démence ou anosognosie... leur incidence peut être énorme. Les soignants ne mesurent souvent pas assez le pouvoir de la parole, dit-elle. Le choix de "dingdingdong" n’est donc pas un hasard : un son de cloche différent pour inverser les choses, changer le regard sur cette maladie.


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Publié sur OSI Bouaké le mardi 28 mai 2013



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