OSI Bouaké - Arrestation de la psychanalyste syrienne Rafah NACHED : témoignage et pétitions Accueil >>  Psychologie géopolitique

Arrestation de la psychanalyste syrienne Rafah NACHED : témoignage et pétitions



Un oeil sur la Syrie - 11 septembre 2011

Le samedi 10 septembre à 1 heure du matin (heure de Damas), la psychanalyste syrienne Rafah NACHED, fondatrice de l’Ecole de Psychanalyse de Damas, a été arrêtée par les services de sécurité syriens à l’aéroport de Damas, alors qu’elle s’apprêtait à embarquer sur un vol d’Air France en direction de Paris afin d’y assister à l’accouchement de sa fille.

Rafah NACHED a juste eu le temps de passer un bref coup de fil pour prévenir ses proches dans les secondes qui ont précédé son arrestation. Depuis plus de 36 heures, sa famille est sans nouvelle. Les services de l’aéroport comme les services de police refusent de communiquer la moindre information. Nul ne sait où elle se trouve, ni si elle est en mesure de prendre les médicaments requis par son insuffisance cardiaque.

Le choc est d’autant plus violent pour ses proches que nul ne comprend les raisons de cette interpellation. Rafah NACHED, âgée de 66 ans, est diplômée en Psychologie Clinique de l’Université Paris 7. Elle est la première femme psychanalyste à exercer en Syrie et a récemment fondé l’Ecole de Psychanalyse de Damas, en collaboration avec des psychanalystes français. Son engagement professionnel a toujours été de nature scientifique et humanitaire, à l’exclusion de toute implication politique. Ainsi, fin août dernier, les presses arabe et française s’étaient fait l’écho des initiatives prises par Rafah Nached et la communauté jésuite de Damas pour organiser des réunions entre citoyens syriens de toutes obédiences. Il s’agissait de leur offrir un espace apolitique, ouvert et multiconfessionnel, au sein duquel verbaliser leurs angoisses et leurs peurs dans le climat de violence qui ravage actuellement le pays.

Est-ce ce dernier espace d’accompagnement psychologique de la souffrance humaine qu’on a voulu museler ce samedi par une arrestation arbitraire ? Alors même que ces trop rares initiatives sont probablement vitales pour maintenir le fil ténu du dialogue inter-communautaire et éviter que la Syrie ne bascule demain dans la guerre civile ?

A Paris et à Damas, comme dans les nombreuses capitales arabes où Rafah NACHED avait noué, au cours des 30 dernières années, de nombreuses amitiés personnelles et professionnelles au sein des communautés universitaires, et notamment dans les facultés de psychologie et de psychanalyse, l’inquiétude - couplée à un formidable sentiment d’injustice - grandit d’heure en heure en l’absence de toute information.

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Pour apporter son soutien, plusieurs pétitions circulent :

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Un oeil sur la Syrie - 13 septembre 2011

Détails sur l’arrestation de la psychanalyste syrienne Rafah Nached

Le Dr Faysal ABDALLAH, professeur d’Histoire ancienne à l’Université de Damas, a rédigé, samedi 10 septembre, le communiqué dont on trouvera ci-dessous la traduction française.

COMMUNIQUE SUR LES CONDITIONS D’ARRESTATION DE LA PSYCHANALYSTE RAFAH TAWFIQ NACHED

Je tiens à porter à la connaissance de tous que mon épouse, le Dr Rafah Tawfiq NACHED, psychanalyste, s’est présentée au point de contrôle des bagages de l’Aéroport International de Damas, samedi 10 septembre à 1h33 du matin. Elle devait se rendre à Paris pour des raisons familiales et de santé. Elle m’a alors appelé et m’a dit : « Ils procèdent à des contrôles avec nervosité. Ils ont des listes… On m’a pris mon passeport et on est parti avec… ». La conversation s’est arrêtée là. Mais, son téléphone portable étant resté allumé, j’ai entendu du bruit et de l’agitation, ainsi que les mots : « Madame… enlevez cela », puis la communication s’est totalement interrompue.

Je me suis immédiatement rendu à l’Aéroport, où je suis arrivé aux alentours de 2h15 du matin. Je me suis dirigé vers le premier poste de contrôle des bagages et j’ai demandé à un policier de se renseigner pour savoir si une femme de 66 ans était passée par là. Le policier en civil m’a répondu qu’il allait poser la question à l’intérieur. Il est entré, est revenu quelques instants plus tard et m’a déclaré : « Nous ne savons pas. Tu dois interroger le bureau de la Sécurité ». Je lui ai dit : « J’ai reçu un appel de ma femme, il y a peu de temps, dans lequel elle m’a dit qu’elle se trouvait au point de contrôle des bagages qui précède la pesée et l’enregistrement ». Il m’a répliqué : « Personne ne sait rien » et m’a conseillé à nouveau d’interroger la Sécurité.

Je me suis rendu en hâte vers un bureau situé dans le grand hall de l’Aéroport au-dessus duquel se trouvait un panneau « Sécurité ». Je leur ai posé la même question et on m’a répondu : « La Sécurité n’a aucune information. Si nous savions quelque chose, nous vous dirions avec exactitude ce qui s’est passé ». J’ai fait observer que ma femme était passée par là, qu’elle s’était mise en contact avec moi depuis le point de vérification des bagages pour me dire qu’ils la contrôlaient, que la conversation avait alors été coupée, et que, depuis ce moment-là, je considérais que ma femme avait disparu à l’intérieur de l’Aéroport - plus exactement au premier point de contrôle, avant la pesée des bagages. Un fonctionnaire de la Sécurité en habit civil m’a répondu : « Nous n’avons aucune information. Si nous savions quelque chose, nous te l’aurions dit ». Je me suis étonné : « C’est étrange. Je suis un citoyen. Je vous informe que ma femme a disparu chez vous. Puis-je compter sur une aide quelconque de votre part en tant qu’autorité responsable ? » Il m’a répété à nouveau : « Nous, nous ne savons rien. Vois plutôt la Sécurité Générale. Va voir la Police et pose-lui ta question ».

Je me suis dirigé vers un bureau voisin où se trouvaient des policiers en uniforme. J’ai raconté l’affaire de la disparition de ma femme. On m’a demandé quel était son nom complet. J’ai donné une photocopie de sa carte d’identité. Un policier s’est retiré pour revenir quelques minutes plus tard et me déclarer : « Ta femme n’a pas franchi le poste de la Sécurité Générale. Cela signifie qu’elle n’est pas encore partie. Regarde du côté du premier poste de contrôle des Douanes et de la Sécurité Aérienne ». Je lui ai fait remarquer qu’on ne me laissait pas entrer là-bas, et que « le bureau censé être celui de la Sécurité Aérienne m’avait déjà fait savoir qu’il ne savait rien à son sujet, et que s’il savait quelque chose il me le dirait ». Le policier m’a alors regardé en riant. Il m’a dit : « Nous, nous avons fait ce que nous devions faire. Ta femme n’est pas passée par chez nous. Interroge de nouveau la Sécurité ».

J’ai ainsi passé quelques heures à discuter avec les responsables des bureaux de la sécurité de l’Aéroport. Au petit matin, je me suis finalement retrouvé dans le bureau du Général Commandant en Chef de la Police de l’Aéroport. Je lui ai raconté ce qui s’était passé, que j’avais perdu ma femme dans l’Aéroport depuis 1h33 du matin, qu’elle n’avait pas franchi le premier poste de contrôle, que son nom figurait sur la liste de réservation des passagers d’Air France en direction de Paris, mais qu’Air France m’avait indiqué qu’elle ne figurait pas sur celle des passagers ayant embarqué. Cela voulait dire qu’elle avait été arrêtée au premier point de contrôle. L’officier supérieur m’a répondu avec amabilité et m’a fait comprendre que si la Sécurité Générale n’avait pas enregistré le passage de ma femme, cela voulait dire qu’un autre service de sécurité, autrement dit la Sécurité Aérienne, était responsable de ce qui s’était passé.

J’ai tenté à de multiples reprises de retourner aux bureaux de la Sécurité Aérienne. J’ai demandé à en rencontrer l’un des officiers. Mais toutes mes démarches sont demeurées vaines. J’ai dû me contenter de la réponse des fonctionnaires des bureaux accessibles au public.

Au terme de la journée de samedi, toute entière occupée à passer des bureaux de la Sécurité à ceux de la Sécurité Aérienne et de la société Air France, je me suis résigné à admettre que le Dr Rafah NACHED, psychanalyste âgée de 66 ans, avait été arrêtée au poste de contrôle des bagages de la section départ de l’Aéroport de Damas, par des membres des Services de Renseignements (moukhabarat) de l’Armée de l’Air, et qu’il me faudrait suivre l’affaire de son arrestation le jour suivant. C’est ce que je fais maintenant.

Ma femme a passé sa première nuit dans un lieu dépendant d’un service de Sécurité dont j’ignore tout. Je signale qu’elle souffre de plusieurs problèmes de santé et qu’elle se rendait à Paris pour raisons familiales mais aussi pour des examens médicaux. Elle a été arrêtée à l’Aéroport de Damas par les moukhabarat de l’Armée de l’Air. J’entreprendrai ce jour-même les procédures légales auprès du ministère de la Justice pour obtenir une réponse des autorités sur le sort de ma femme.


Publié sur OSI Bouaké le jeudi 15 septembre 2011